AU DÉBUT — Quels sont tes premiers émois musicaux et/ou graphiques ? Quels souvenirs en gardes-tu ? Alex — Mon tout premier émoi phonographique, c’est « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band» des Beatles que j’écoutais au casque religieusement dès mes 8 ans. Je découvrais plein de choses en même temps : la musique pop, la langue anglaise, le mode de fonctionnement d’un électrophone… La profusion de personnages, de détails sur la pochette, m’a complètement fasciné. J’ai passé des heures à essayer de déchiffrer cette pochette, à essayer de trouver un sens à ces textes et ces images… La richesse visuelle me semblait constituer un écho naturel à celle de la musique. C’était (et demeure) un disque-monde, suggérant une grande variété de paysages, de situations et d’émotions. J’adorais aussi la planche cartonnée avec les accessoires à découper (moustache, galons, badge…) insérée dans la pochette…
Plus tard, j’ai acheté mes premiers disques et ils avaient, eux aussi, tous un univers graphique fort (Depeche Mode et les incroyables photos de Brian Griffin, les travaux de Peter Saville pour Joy Division et New Order, ceux de Vaughan Oliver pour Cocteau Twins, les pochettes des disques des Smiths).
“ Mon tout premier émoi phonographique, c’est « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band » des Beatles que j’écoutais au casque religieusement dès mes 8 ans.”
Quand on assiste régulièrement à des concerts, on comprend rapidement que l’expérience dépasse largement le musical pour englober tout un tas de paramètres : L’attitude des musiciens, leurs tenues, leurs instruments, leur humeur du jour, celles du public, le cadre, la qualité de la sonorisation, celle des éclairages scéniques, la place qu’on s’est dégoté dans la salle, la compagnie (ou pas) des amis, la qualité et le prix de la bière… Il me semble qu’il en va de même pour le disque : la pochette fait partie intégrante de l’expérience du disque, au même titre que l’endroit où on l’achète, celui où on l’écoute, les gens à qui on le prête, etc… La particularité, c’est que c’est un paramètre sur lequel les musiciens ont (ou devraient avoir) le contrôle.
Y a t’il des liens entre ta sensibilité graphique et ta passion pour la musique ? Alex — Oui, c’est évident. Il m’est arrivé plus d’une fois d’acheter un disque sur la foi de sa pochette, et j’ai, à vrai dire, été très rarement déçu.
J’ai une anecdote à ce sujet : je me suis offert mon premier CD bien avant d’avoir accès à un lecteur qui m’aurait permis de le lire. Ça en dit long sur mon rapport à l’objet disque. C’était « Life is hard and then you die » du groupe anglais It’s Immaterial. Je l’avais acheté parce que tout m’intriguait dans ce disque : le nom du groupe, le titre de l’album, le design graphique de la pochette avec sa tête de clown énigmatique. Le CD contenait un livret avec les paroles des chansons. J’ai dû écouter le disque pour la première fois plus d’un an après son acquisition mais j’en connaissais déjà quasiment les textes par cœur…Je n’en avais jamais entendu la moindre note auparavant mais je savais que ça me plairait. Ce fut le cas.
” La pochette fait partie intégrante de l’expérience du disque, au même titre que l’endroit où on l’achète, celui où on l’écoute, les gens à qui on le prête, etc… .”
Je suis très sensible au soin et à l’exigence qu’on peut mettre dans la conception comme dans la réception de ces signes. Je peux être rebuté avec la même intensité par un crénage mal réglé que par un son de caisse claire disgracieux. A l’inverse, une belle typo utilisée avec finesse peut me donner envie à elle seule de feuilleter un bouquin ou écouter un disque. A ce titre, le boulot de Reid Miles, notamment pour les disques du label Blue Note, constitue pour moi une sorte de mètre-étalon de l’élégance.
J’ai cru comprendre que tu avais un intérêt particulier pour la typographie… Alex — Je n’ai pas de culture graphique académique ou de compétences avérées en graphisme mais j’ai développé une fascination croissante pour la typographie. Je passe des plombes sur des sites comme Fontsinuse. J’ai même composé et enregistré (avec mon ami Stu Kidd) une chanson qui s’appelle « Bodoni » pour mon projet musical Pauvre Glenda ; une chanson d’amour à propos de typographie et de calligraphie ! J’ai réalisé que la pop music et la typographie avaient énormément en commun en ce sens que l’une et l’autre sont partout dans nos quotidiens, qu’on peut difficilement y échapper et qu’ils ont tous deux un impact plus ou moins subliminal mais très important dans le paysage émotionnel et esthétique de chacun.
GRAPHISME ET MUSIQUE — Que penses-tu du « retour » en force du vinyle face à la dématérialisation de la musique et de sa distribution ? Alex — J’ai grandi en achetant du vinyle. J’ai donc une tendresse un peu irrationnelle pour ce format, où le support graphique occupait matériellement une place importante. Mais je n’aime pas du tout l’idée que le disque soit un produit de luxe. Je n’aime ces objets que dans la mesure où ils demeurent accessibles. Je suis très attaché à l’idée que la pop permet d’enchanter ou réenchanter le quotidien du plus grand nombre et que le design (graphique ou autre) puisse jouer le même rôle. Je ne suis donc pas friand des coffrets collector qui coûtent un bras, des éditions limitées qui cultivent l’idée du luxe et de la démonstration de richesse. C’est un truc qui me met mal à l’aise. Du coup, les vinyles qui coûtent deux ou trois fois le prix du CD, c’est sans moi. Pour moi, le plus intéressant, c’est justement de parvenir à faire de belles choses avec une certaine économie de moyens. De nombreux éditeurs de bouquins et labels de disque font ça très bien.
ARTWORK — En tant que « discophage » et que musicien, quelle importance accordes-tu à une pochette de disque ? Doit-elle être une véritable réflexion sur la mise en images de la musique où une démarche purement artistique et/ou graphique ? Alex — C’est une question passionnante. J’ai peur de la redondance. J’ai tendance à craindre qu’en cherchant à mettre en image la musique, on prive l’auditeur d’une part de liberté imaginative. J’ai tendance à penser que l’idéal est que la pochette propose un contenu artistique additionnel, singulier et séduisant, qui dise quelque chose de la musique sans la dévoiler complètement, sans en restreindre la portée. Aussi, je pense que graphistes et musiciens doivent avoir une bonne connaissance de leurs travaux respectifs et une vraie complicité si on veut que le résultat soit réussi et ait du sens.
J’ai tendance à penser que l’idéal est que la pochette propose un contenu artistique additionnel, singulier et séduisant, qui dise quelque chose de la musique sans la dévoiler complètement…“
Un musicien, un groupe ou un label doivent-il avoir un univers visuel et graphique qui leur est propre ? Alex — Je ne crois pas que ça doive constituer une règle. Parmi les groupes que j’aime, il y en a qui ont opté pour une continuité graphique inflexible (je pense à Talk Talk, à Passion Fodder ou à Penguin Café Orchestra, pour n’en citer que trois) et d’autres où les pochettes se sont succédées sans se ressembler, mais en maintenant un niveau d’exigence singulier sur la question graphique (New Order, par exemple, où le seul fil rouge, finalement, c’est que la pochette va être « arty » d’une façon ou d’une autre). D’autres groupes voient l’univers graphique de leurs disques évoluer davantage que leur style musical. Tant que le design graphique et la musique se répondent, je crois que tout doit être permis. A l’échelle d’un label, c’est tentant, comme ça a pu être fait avec Blue Note, ou plus récemment avec Sacred Bones et sa charte graphique en frontal, d’apposer une sorte de « sceau » graphique, parce que ça valorise la cohérence du label et que ça favorise l’esprit de collection, dont certains fans de musique sont friands. Mais ça à tendance à écraser un peu la personnalité artistique des groupes, je trouve….
” Tant que le design graphique et la musique se répondent, je crois que tout doit être permis.“
HALL OF FAME —
Quels sont les productions actuelles qui attirent ton attention en terme de graphisme ? Alex — Je suis de près les travaux de Rémy Poncet (a.k.a. Chevalrex), que ce soit pour son propre label ou d’autres. Egalement les travaux de Pascal Blua (je ne crois pas trop au hasard des rencontres… et je le devine partant pour fonder avec moi une Amicale du Bodoni !),
J’ai aussi beaucoup aimé les visuels très sobres qu’a produits Jo Anatole pour les récentes productions de Rémi Parson. J’adore aussi le label Catapulte Records et ses superbes pochettes exotiques et colorées. C’est marrant parce qu’en faisant le point pour répondre à cette question, je me suis rendu compte de l’incroyablement faible nombre de belles pochettes qui sont produites chaque année, au regard de la quantité de disques qui sortent…
Ton Top 5 des plus belles pochettes ?
Eric DOLPHY – Out To Lunch (Blue Note / Design de Reid Miles) Un exemple parmi des centaines du genie de Reid Miles. Cette pochette est un point cardinal pour moi.
SPARKS – Propaganda Faire le choix du portrait photographique d’un groupe pour la pochette d’un disque s’avère souvent l’une des idées les plus convenues et les moins stimulantes qui soit. Sauf si le groupe est aussi puissant visuellement que Sparks et qu’il s’amuse à se mettre en scène dans des situations improbables.
THE STYLE COUNCIL – Our Favourite Shop A dire vrai, je ne suis pas fan de toutes les chansons de ce disque mais j’adore sa pochette, qui propose un inventaire incroyablement excitant des objets préférés du duo. Ça préfigure bien la série des « Essentiels » de ce site ! Des années avant Pinterest, et d’une façon aussi élégante qu’astucieuse, le Style Council proposait sur cette pochette un « moodboard » qui ressemble aussi au départ d’un jeu de pistes… Avec la photo en bichromie alliée à une typo efficace, on n’est pas loin non plus de l’esprit des pochettes des Smiths, auquel je suis viscéralement attaché…
HAROLD BUDD & COCTEAU TWINS – The Moon and the melodies (4AD) Sans doute pas le meilleur disque de ses protagonistes, mais la pochette est splendide. Je n’ai toujours pas compris ce que représentait l’image (sans doute la vue au microscope d’un textile ?) mais c’est justement cette abstraction et ce mystère qui rendent ce visuel intemporel.
WILCO – A Ghost Is Born (Design par Peter Buchanan-Smith) Comme un pendant symétrique au fourmillement de « Sgt Peppers » ou de « Our Favourite Shop », il y a la splendide épure de quelques pochettes qui ont fait le choix du minimalisme. Celle-ci m’a particulièrement marqué. Pas juste la « front cover » mais aussi tout le reste du design, évidemment (les photos du nid, de la coquille ouverte, etc.).
L’histoire du Mange-Disque commence donc en 2005… Fred Le Falher — Oui, ça démarre comme souvent par une bande de copains réunis autour d’une même passion pour le rock. Au départ, on est cinq : Bruno Mosnier, Fred Sérager, Daniel Aimé, Jeff Vidal et moi-même. On est en 2005, on a entre 30 et 40 ans (sauf Daniel, notre doyen : la petite soixantaine), on boit des coups, on voit pas mal de concerts, et on se dit que ce serait cool de construire quelque chose ensemble, de transformer cette amitié en une réalisation concrète, durable.
Certains montent un groupe ou un festival, nous on a créé un fanzine. Il n’y avais pas de fanzine à Aurillac, et on trouvait marrant de se lancer là-dedans à nos âges, alors que les fanzines sont plutôt un truc qu’on fait à 20 ans.
Pourquoi en 2005, choisir d’éditer un fanzine papier alors que les webzines fleurissent sur internet ? FLF — On est tous attachés à l’objet : les disques, les vinyles, mais aussi les bouquins, la presse, les affiches… Nos maisons ou apparts sont gavés de tout ça, les étagères débordent, ça n’en finira jamais. Donc, il était hors de question dès le départ de faire un web-zine : on voulait un truc imprimé et relié, à l’ancienne, un journal qu’on puisse glisser dans un sac, lire aux chiottes, conserver dans une étagère, bref, un “vrai” fanzine.
“Certains montent un groupe ou un festival, nous on a créé un fanzine” — Fred Le Falher
Quelles étaient vos envies en créant un fanzine ? FLF — On a fait une réunion ou deux (bien arrosées) pour définir ce qu’on voulait faire, et on a adopté une série de parti-pris bien définis :
– on parle de ce qu’on veut, sans lien nécessaire avec l’actualité
– on défend chacun notre petit univers personnel : Bruno plutôt punk, Fred des trucs assez “arty”, Jeff n’écoute que du reggae, moi plutôt de la pop, Daniel raconte ses anecdotes de vieux routard des concerts parisiens…
– chaque sujet doit avoir un rapport avec la musique, c’est la seule contrainte
– on se fait plaisir à défendre des trucs qu’on adore, on ne fait pas d’articles “contre” mais “pour”.
On a sollicité d’autres copains autour de nous, nos frangins, des gens susceptibles de collaborer régulièrement ou ponctuellement au Mange-Disque… Au total, en plus du noyau dur des cinq zigottos du début, il doit y avoir une bonne trentaine de personnes qui ont écrit dans le fanzine.
Pourquoi Le Mange-Disque ? FLF — Ça a failli s’appeler “Single”, et puis finalement on a choisi Le Mange-Disque, parce que ça faisait moins prétentieux. Un Mange-Disque, c’est presque un jouet, c’est un appareil pour les enfants, ça nous allait bien. Ça fait pas trop sérieux, ça exprime une forme de légèreté, une approche plutôt ludique de la musique, c’est un nom qui nous plaisait bien parce qu’on avait envie de se marrer, quand même, avec ce fanzine.
Et le format carré ? FLF — On voulait faire un objet un peu soigné, un beau fanzine, pas un truc punk photocopié en A4. On se disait “tant qu’à faire un fanzine de vieux, autant le faire bien”. Le choix du format carré s’est imposé assez vite, et pas seulement carré : 18 cm de côté, comme un 45 tours. Et ça collait bien avec la forme du journal : un mange-disque, ça ne permet de lire que des 45 tours, donc format carré.
Du coup, vous tenez un concept ? FLF — Oui, car ce format-là, en plus, nous permettait de vendre le fanzine dans une pochette plastique transparente (comme les 45 tours). Du coup, non seulement la pochette rappelait le 45 tours tout en mettant en valeur le fanzine, mais en plus ça permettait de glisser notre fameux cadeau à l’intérieur, chose impossible sans la pochette. Et ça, c’était vraiment la cerise sur le gâteau de notre projet : accompagner chaque numéro d’un petit cadeau-collector, comme le Pif-Gadget de notre enfance.
En fait, on s’est dit “voilà, le Mange-Disque sera le Pif-Gadget du fanzine rock”. Ça veut dire qu’à chaque numéro, on devait trouver un petit cadeau différent, mais pas cher car sinon on se retrouvait avec des cadeaux plus chers que le coût du journal.
“On s’est dit : voilà, le Mange-Disque sera le Pif-Gadget du fanzine rock” — Fred Le Falher
Qu’avez-vous fait comme cadeaux ? FLF — On a fait des cartes postales, des stickers, des sous-bocks, des magnets, des ballons, des préservatifs, des badges… Ça fait des petits objets-promo marrants, c’est cool.
On a même fait très fort pour notre numéro 10 : le cadeau, c’était un vrai 45 tours, un split-record avec un groupe sur chaque face , Les Glums et les Cracbooms, deux jeunes groupes d’Aurillac qu’on aimait bien, en vinyle rouge (!), et avec une pochette ouverte et réversible (pochette avec photos de Daniel d’un côté, et des dessins à moi de l’autre côté). Et tout ça pour 1 euro de plus qu’un numéro ordinaire. Bon, inutile de te dire que ce numéro-là a été épuisé très vite !!!
AU FIL DES NUMÉROS
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Comment se sont répartis les rôles dans le fanzine ? FLF — Le plus important, c’était que chacun fournisse des articles. Pour le reste, on a fait en fonction des compétences ou des envies des uns et des autres… Bruno M. s’est occupé de la compta, il est plutôt bon là-dedans. Fred S. s’est chargé de l’aspect administratif : numéro ISBN, dépôt des statuts de l’association, ce genre de choses assez carrées.
De mon côté, j’ai pris en charge tout l’aspect graphique du fanzine et ça, c’est vraiment LE truc qui me plait à fond avec le Mange-Disque. Concevoir les couvertures, illustrer les articles des uns et des autres, dessiner tous les titres, faire toute la mise en page, m’occuper du cadeau, mettre au point les affiches-promo… Ça prend un temps de malade, mais j’adore ça.
Chaque membre de la rédaction se prend donc en charge une rubrique, qu’il fait vivre au fil des numéros ? FLF — Ce ne sont pas tant de “vraies” rubriques que des petites marottes personnelles que chacun défend de numéro en numéro.
Daniel, notre vétéran bien-aimé, nous fait revivre de l’intérieur ses concerts préférés, à grand renfort d’anecdotes qui sentent parfois un peu fort le vécu… Ça donne des chroniques de concert où il n’est quasiment pas question de musique, mais plutôt de l’art et la manière de planquer un appareil-photo dans un sac-à-dos rempli de linge sale pour tromper la vigilance du service d’ordre… Fred S. , dans l’édito comme dans ses articles, est le seul capable de caser des mots comme “corollaire” ou “éthéré”, une exigence littéraire compensée quelques pages plus loin par les familiarités langagières de Bruno M., pas du genre à tourner autour du pot.
Pour ma part, je me suis spécialisé dans le plébiscite de groupes pas très respectables, genre les Charlots, les Poppys, Niagara, Graziella de Michele, OMD, ou même… Johnny Hallyday (album “La Génération perdue”, un bon cru de 1969 !)… Des trucs que j’aime vraiment bien, mais qui ne jouissent pas d’une grande crédibilité-rock, c’est le moins qu’on puisse dire. Chaque numéro ou presque accorde une place à un article Reggae, signé par l’ami Jeff. On a aussi les interventions drolatiques de Bruno V. alias Placid Souplex, pour deux à quatre pages de dessins foutraques flirtant dangereusement (encore heureux !) avec le n’importe-quoi… On a aussi le poster central, une simple double-page, ne rêvons pas, chasse gardée de Daniel.
“On peut dire que les articles de chacun n’ont (presque) pas besoin d’être signés, tellement ils portent l’identité de leur rédacteur” — Fred Le Falher
Vous cultivez donc la liberté d’expression individuelle ? FLF — On peut dire que les articles de chacun n’ont presque pas besoin d’être signés, tellement ils portent l’identité de leur rédacteur. Mais ça colle bien avec l’esprit du Mange-Disque : liberté de ton totale, comme au bon vieux temps des radios pirates… mais sur papier. On n’est pas organisés au point d’avoir des rubriques systématiques : on fonctionne essentiellement à l’envie, au coup de cœur, à l’initiative individuelle.
Les intervenants extérieurs, et les initiatives ou contributions qu’ils peuvent apporter, sont toujours les bienvenus : le cercle du Mange-Disque, tel un 45 tours élargi au 25 cm puis au 33 tours, est fait pour s’agrandir !
Un article signé Dominique A, une collaboration avec Renaud Monfourny, on ne se refuse rien au Mange-Disque ?! FLF — Oui, nous sommes assez fier d’avoir eu Dominique A parmi nos rédacteurs (numéro 11), avec un article complètement inédit sur Bridget Saint-John. On l’avait rencontré pour une interview au Théâtre d’Aurillac en 2010, il avait particulièrement apprécié qu’on perpétue la tradition du fanzine-papier, du coup il nous avait promis un article : promesse tenue, merci M’sieur A !
Quand à Renaud Monfourny, lui aussi sensible au support imprimé, il nous a proposé de sélectionner des séries de 6 portraits par thématiques. Les photos étant carrées (avec la fameuse bordure noire du négatif, signature du maître), c’était parfait pour les pages du Mange-Disque. On n’est pas peu fiers d’avoir exhibé des Lou Reed (série “New-York”), Jesus & Mary Chain (“Dirty British”), Elliot Smith (“Mythes US”) et autres PJ Harvey (“Girls”) dans notre petit fanzine aurillacois… Pour l’anecdote, quand Monfourny est venu à Aurillac en 2012, dans son discours d’inauguration pour son expo, il a d’ailleurs dit “Oui, c’est vrai, je suis photographe aux Inrocks, mais enfin, je travaille surtout pour le Mange-Disque“, ah ah !
Chaque couverture du Mange-Disque contient un élément glissé dans le décor qui évoque un 45 tours. Comment choisis-tu le thème de l’illustration de couverture ? FLF — En fait, le thème de l’illustration n’a aucun rapport avec le contenu du sommaire. A l’inverse d’un magazine classique qui fait sa Une sur le sujet-vedette du numéro, la couv’ du Mange-Disque est un dessin complètement libre.
Le seul impératif que je me suis fixé, et qui est commun à toutes les couvertures, c’est d’intégrer un objet ou un élément de décor qui évoque le 45 tours. Une soucoupe volante (numéro 2), une crêpe (numéro 3), un morceau de glace sur la banquise (numéro 5), un gâteau d’anniversaire (numéro 10), le tracé du rond central sur un terrain de foot (numéro 11), le motif d’un bouclier viking (numéro 12)…
Faut pas croire, mais c’est assez compliqué à alimenter, comme concept ! Et maintenant, impossible de faire machine arrière, je dois me creuser la tête pour trouver des idées. Heureusement, notre rythme de parution, tout sauf stakhanoviste, me laisse du temps ! Mais il est déjà arrivé que tout soit prêt, sauf la couverture…
“En fait, le thème de l’illustration n’a aucun rapport avec le contenu du sommaire. A l’inverse d’un magazine classique qui fait sa Une sur le sujet-vedette du numéro, la couv’ du Mange-Disque est un dessin complètement libre” — Fred le Falher
Comment avez-vous distribué Le Mange-Disque ? Chez les disquaires, dans les bars ou les salles de concert, par abonnement ? FLF — Dans la plus pure logique DIY, le Mange-Disque est en dépôt chez les disquaires indépendants : La Voix du Laser à Aurillac (fermé depuis quelques années, conjoncture oblige, argggh !), Spliff à Clermont, The Rev’ à Tulle… On a aussi élargi à quelques bars hautement fréquentables comme le Bikini à Clermont.
Mais on vend aussi directement aux copains, ou aux aficionados du Mange-Disque dans nos soirées-vinyles. Et aussi par correspondance pour nos lecteurs éloignés (mais oui, il y en a !). Bref, on se débrouille comme on peut pour écouler notre (modeste) stock, sachant qu’on ne tire qu’à 130 exemplaires, ce qui est assez dérisoire.
GRAPHISME ET FANZINE —
Parlons de toi maintenant. Quel est ton parcours ? FLF — J’ai fait les Beaux-Arts : d’abord deux ans à Clermont-Ferrand, puis trois années en option Communication visuelle et audio-visuelle à St-Etienne parce que les Arts plastiques purs et durs, très peu pour moi. Mon projet de diplôme était construit autour de Chris Evans, un rockab’ stéphanois qui entrera dans la postérité pour avoir signé “Ma pin-up est une grosse truie”… Ensuite, deux ans d’objection pour éviter l’armée, et après il a bien fallu se mettre à bosser alors j’ai atterri à Aurillac pour être prof d’arts appliqués au lycée St-Géraud, un établissement assez génial dédié aux filières Arts appliqués et Arts graphiques. C’était en 1994, et je n’en suis jamais parti. Vingt-deux ans maintenant que j’enseigne les joies du graphisme à des élèves de Bac Pro Communication visuelle.
Il se trouve qu’avec quelques collègues passionnés, on a fait le choix — complètement arbitraire — de travailler presque exclusivement autour de ce qu’on pourrait appeler la culture rock : l’image liée à la musique, ça reste quand même une obsession. On a mis en place toute une série de partenariat avec les structures du coin, notamment la Coopérative de Mai à Clermont ou les festivals Hibernarock ou Europavox, qui nous permettent de monter des projets super excitants avec nos artistes préférés de passage dans la région : de Daniel Darc à Heavy Trash en passant par Charlotte Gainsbourg, Katerine, Dominique A, Miossec, les anciens Bérus, et même Patti Smith (!). On a fait des super beaux boulots en graphisme, et vécu comme nos élèves des moments mémorables avec du beau monde.
En parallèle, j’exerce une petite activité de graphiste très indépendant, en dessinant des pochettes de disques pour des groupes aux noms croquignolets tel que Man Made Monster, La Position du Tireur Couché, The Plastic Invaders, The Balladurians…, des affiches de concert et de festivals rock, des visuels pour la Coopérative de Mai ou pour le Wakan Théâtre…
Le Mange-Disque, c’était l’occasion de se frotter à un environnement visuel complet : illustration, mise en page, typo, objets-promo, affiches pour annoncer les nouveaux numéros ou les soirées DJ… Presque un travail de Directeur artistique, mais en version Minus !
“Il se trouve qu’avec quelques collègues passionnés, on a fait le choix de travailler presque exclusivement autour de ce qu’on pourrait appeler la culture rock : l’image liée à la musique, ça reste quand même une obsession” — Fred Le Falher
Quelles sont tes influences et tes références en terme de graphisme et d’illustrations ? FLF — Je suis un gros fan de Serge Clerc, que j’ai découvert dans les pages du Rock&Folk du début des années 80, ou de Métal-Hurlant. Lycéen, j’ai passé des heures à recopier ses dessins, forcément ça marque. Ça reste un de mes dessinateurs préférés. J’aime aussi beaucoup Yves Chaland, un peu dans la même famille, la Ligne Claire, tout ça. Ça remonte à Hergé, que j’ai beaucoup scruté aussi. Globalement, je ne suis pas très attiré par les dessins hyper réalistes, minutieux, avec plein de petites hachures. J’aime bien Jijé, ceci dit, les Jerry Spring en noir et blanc, avec les fameux contre-jours, j’adore.
J’ai vraiment un faible pour les images très stylisées, et les gros aplats de couleurs. “Pravda la Survireuse”, le bouquin-culte de Guy Peelaert, trône dans mon salon. Les affiches de Saul Bass, j’en suis dingue : “The man with the golden arm”, “Anatomie d’un meurtre”, c’est super simple mais c’est génial. Tout le monde le copie allègrement, moi le premier, normal : c’est le meilleur. Je déteste viscéralement le jazz, par contre j’adore certains mecs qui ont signé des pochettes de disques démentes, notamment dans les années 40 et 50 : Jim Flora, Alex Steinwess, ou Reid Miles chez Blue Note, un pur graphiste, qui ne dessinait pas mais savait cadrer une photo et placer une typo dessus : chacune de ses pochettes est une leçon de mise en page.
“Les affiches de Saul Bass, j’en suis dingue : “The man with the golden arm”, “Anatomie d’un meurtre”, c’est super simple mais c’est génial. Tout le monde le copie allègrement, moi le premier, normal : c’est le meilleur” — Fred Le Falher
Dans les mecs plus contemporains, j’aime beaucoup Art Chantry, qui vient du graphisme punk : une bonne photocopieuse et une paire de ciseaux, ça peut suffire. Je suis aussi très marqué par tous ces américains qui font du gig-poster (Jeff Kleinsmith, Furturtle Print, Methane Studios…), il y a là-dedans une créativité tout azimut qui est vachement stimulante.
Plus proche de nous : j’adore Blexbolex (né dans le Cantal !) et ses bouquins toujours épatants ; j’ai suivi de près ce qu’on publié les éditions du Rouergue (basées à Rodez, pas loin non plus) quand Olivier Douzou était à la barre du secteur Jeunesse ; et en ce moment je suis très admiratif de ce que fait Alexandre Clérisse, un petit gars du coin exilé à Angoulême : son “Eté Diabolik” est un petit chef-d’œuvre, chaque page mérite qu’on s’y arrête. Je peux citer aussi des découvertes assez récentes : Jean Mosambi ou Marcel Bontempi, des mecs qui font des pochettes de disques et pas mal de sérigraphies dans un style très sixtie’s imprégné de cartoon, vraiment chouette.
En fait, chaque jour je peux être émerveillé par une affiche, une pochette de disque, un livre pour gamin… Je suis tout le temps en train de récupérer des flyers, des brochures, des magazines, des tas de trucs que j’entasse dans des cartons… C’est un peu compulsif. Heureusement, j’ai la chance d’avoir une grande baraque, avec un vaste grenier… et aussi une meuf compréhensive !
Comment organises-tu ton travail de graphiste sur le fanzine ? FLF — A la base, je ne suis pas quelqu’un de très organisé… Sur le fanzine, je me fais violence : je dois être un peu méthodique parce que 60 pages à organiser, ça ne peut pas s’improviser. Pour ne pas être débordé, je gère les articles au fur et à mesure qu’ils arrivent.
La confection d’un numéro entier peut prendre plusieurs mois, du coup, parce que tant que j’ai du pain sur la planche, je laisse les copains m’envoyer les articles à leur rythme. Moi le premier, je suis assez lent à écrire (surtout quand je me lance sur un article fleuve à propos de Niagara !). Le truc très long et très chiant, aussi, c’est de lire tous les articles envoyés pour corriger les fautes d’orthographe et typographiques : j’essaie d’être le plus rigoureux possible avec ça, fanzine ou pas c’est une exigence qui me parait utile.
Côté maquette, je fais en sorte que tout le journal fonctionne par double-page : un article va occuper deux, quatre, six ou huit pages, jamais de chiffre impair. Je répartis le texte dans des colonnes, toujours en corps 9, et selon le volume qu’il occupe, j’évalue ce qui me reste de place pour faire ma petite garniture à moi : le titre et les images. Ce que je préfère, c’est les articles un peu longs parce que sur la première double-page, je me fais plaisir : gros titre, grosse illustration. Les lettres dessinées du titre, ça fait vraiment partie de l’identité visuelle du Mange-Disque.
“Gros titre, grosse illustration. Les lettres dessinées du titre, ça fait vraiment partie de l’identité visuelle du Mange-Disque. La somme de contraintes créé le style, au bout du compte, et ça j’aime bien, comme principe” — Fred Le Falher
Il faut savoir que je fais tout sur le logiciel X-Press, qui n’est pas du tout un logiciel de dessin mais de mise en page. Sauf que même pour faire de la mise en page, plus personne ou presque n’utilise X-Press, c’est In Design qui a pris le relais. Illustrator, je ne connais pas et je refuse d’apprendre à travailler dessus, presque par principe. C’est aussi de la flemme, évidemment, parce que je ne suis pas du tout sensible à la technologie.
Je dessine sur un écran parce que c’est super pratique, mais je suis venu à la PAO sur le tard, un peu à contrecœur. Aux Beaux-arts, par exemple, j’étais un fervent adepte du tout-manuel, je détestais les ordinateurs.
Aujourd’hui, je dessine avec une souris mais pour autant, je reste un vrai nul en PAO, et je ne ressens pas du tout le besoin de progresser. Paradoxalement, c’est devenu une petite spécificité que je cultive : je dessine sur un logiciel qui n’est pas fait pour ça. Et bizarrement, dessiner sur X-Press, ça me plait vraiment. Pourtant, c’est hyper contraignant : il faut tracer des polygones fermés pour pouvoir les remplir d’une couleur ; on ne peut quasiment pas tracer de courbes fluides ; il n’y a pas de calques comme sur la fameuse “suite Adobe” mais ça c’est pas grave parce que les calques, je n’y ai jamais rien pigé. Tout ça m’oblige à adopter un dessin un peu schématique, plutôt anguleux, dans les illustrations comme dans les titres, ce qui rejoint les esthétiques stylisées que j’affectionne, ce côté un peu cartoon, genre Hannah Barbera… Non seulement je m’en accommode, mais j’y trouve mon compte. Mieux que ça : j’en rajoute. Par exemple, à l’intérieur du Mange-Disque où j’ai carte blanche, je m’impose une autre règle stricte : du noir, du blanc, et une seule et même valeur de gris, toujours en aplat.
La somme de contraintes créé le style, au bout du compte, et ça j’aime bien, comme principe. Ceci dit, il n’y a pas que des dessins dans le Mange-Disque : on essaie aussi d’accorder une belle place à la photo, et ça fait du bien d’alterner les deux, selon les articles. Ça rythme la lecture. On a notre fameux Daniel qui pratique la photo de concert en pur amateur depuis quarante ans, et la double-page centrale lui est (quasiment) toujours réservée. Mais on a aussi eu les portraits de Renaud Monfourny, qui me permettait de me fantasmer de temps en temps en maquettiste des Inrocks-mensuel… J’essaie de ne pas utiliser d’images chopées sur internet ou scannées sur un bouquin mais je dois reconnaître que j’ai eu recours plusieurs fois à ces solutions de facilité. Nobody’s perfect, hein…
L’étape finale, quand les 60 pages sont remplies, c’est de répartir tout ça de façon équilibrée : j’alterne articles longs (6 ou 8 pages) et articles courts (une double-page), articles plutôt sérieux et article marrants, dessins et photos… Faut pas croire mais c’est assez conséquent, tout ça, comme boulot. A une époque, on sortait trois numéros par an et franchement, je ne sais pas comment on faisait !
DU FANZINE AU COLLECTIF DJ…
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Le Mange-Disque, c’est aussi des soirées DJ dans les bars d’Aurillac ? FLF — Oui, au départ, on a commencé par organiser des soirées dans les bars d’Aurillac pour chaque sortie de numéro.
On passait des disques (vinyles exclusivement), on en profitait pour vendre quelques numéros, on faisait la bringue, c’était chouette.
Et petit à petit (assez rapidement, en fait), on s’est retrouvés à être sollicités pour animer des soirées dans les mêmes bars, ou ailleurs, parce que forcément, des mecs qui ne passent que des 45 tours à Aurillac, il n’y en avait pas des masses. Surtout, on a toujours fait ça en se marrant et en faisant marrer les gens : on passe un peu tout et n’importe quoi, plein de vieux tubes, des trucs des années 80, des hymnes pop, parfois même de la bonne vieille varièt’, des trucs que tout le monde connait et qu’on peut brailler à tue-tête, sans hiérarchie, sans snobisme (des fois on passe vraiment des trucs très limite, mais on s’en fout). Ça va de Plastic Bertrand à Nirvana en passant par AC-DC, les Poppys, The Clash, Cure, Sheila, les Calamités, les Soup Dragons, Deee-Lite, Eric Morena (Oh mon Bâteau), Orchestral Manœuvre, Taxi Girl, les Bérus, Niagara, Gotainer, des musiques de film, bref, c’est un peu n’importe quoi mais on se marre bien.
Du coup, aujourd’hui les gens ont un peu oublié qu’à la base, le Mange-Disque c’est un fanzine. On est devenus un collectif de DJ plus tout jeunes et passablement agités, qui dansent comme des tarés, grimpent sur les tables pour faire du Air-guitar sur Highway to Hell, et se font payer en bières… Bah, on a l’image qu’on mérite !
En sommeil depuis 2013, le Mange-Disque est de retour ? FLF — Oui, car c’est une activité qui me manque vraiment, en fait. C’est pour ça que je suis en train de relancer tout le monde pour qu’on refasse un numéro, après 3 années de sommeil …
La faute au boulot, à la vie de famille (on est tous papas), à l’enthousiasme qui faiblit aussi, évidemment… Mais merde, je me dis que c’est trop con de s’être laissés endormir, et qu’il suffit de s’y remettre pour retrouver l’énergie du début. Les groupes de rock se reforment, Les Objets sont réédités (!!!), y’a pas de raison pour que les rédacteurs de fanzine se ramolissent. The show must go on !!! Yeaaaaaaaah !!!
Pour information, pour le prochain numéro “Le Retour du Mange-Disque”, on cherche des nouvelles “plumes”, alors à bon entendeur… !