Sauf-conduit #1. Des bâtiments neufs s’effondrant.

Un sauf-conduit est un document accordé par l’autorité d’un gouvernement à une personne de nationalité étrangère et qui garantit à cette dernière la sécurité et la liberté de mouvement à l’intérieur et à travers les frontières de la juridiction de ce gouvernement.

 

Sauf-conduit #1
Des bâtiments neufs s’effondrant.

/ J’aimerais, de nouveau, me concentrer sur un moment particulier d’un disque et le réécouter jusqu’à ne plus y déceler aucunes nouveautés. Je me faisais cette réflexion en regardant La Bataille de San Romano de Paolo Uccello, ce fantasme d’affrontement où les chevaux de craie, entourés d’armures piquées de rouilles et de sang, présentent une chorégraphie unique. Les armes brisées, pourpres ou ivoires, semblent sorties d’un décor de théâtre. Mais dans ce tableau, ce que je peux voir dans le moindre détail, les yeux pourtant clos, c’est ce lévrier argenté courir après un lièvre, à travers des champs de labour. Les arrières plans, voilà ce qui m’a toujours fasciné dans la peinture de la Renaissance italienne. Ce goût de l’observation demande du temps, les vertueux appellent cela de la contemplation. S’adonner à une écoute frénétique d’un disque et de surcroît à un moment précis de ce disque, nous amène à une forme particulière de satiété, vidant l’œuvre de toute vitalité. Je me souviens avoir ressenti cette émotion ambivalente lorsque vint le crépuscule de mes écoutes d’un album comme Vauxhall & I de Morrissey. Jeune homme et absolument mûr pour les amours imaginaires, j’étais écœuré d’avoir appris par cœur cet ensemble de compositions – une véritable petite mort. C’était pourtant un grand enseignement, cette petite mort. //

/ Une grande bataille, très contemporaine, oppose ceux qui ont conscience que les éléments, les villes, les humains et leurs œuvres puissent mourrir un jour aux si touchants enfants du déni. Kafka disait : « Le meilleur de ce que j’ai écrit se fonde sur cette aptitude à pouvoir mourir content ». Cette tension produite par l’acceptation d’une fin et d’un trait définitif est le charme perdu de la musique. Ressentir cette tristesse qui nous prend lorsque l’on réalise que l’on n’écoutera jamais plus un disque d’une telle façon – dévorante et comme mendiant la moindre note – comprendre, aussi, que le groupe aimé – les Pixies, Slowdive ou encore Grandaddy – va mourir ou plus exactement est bien mort. //

/ On reproche beaucoup de choses aux retrouvailles musicales. Elles tiennent souvent de l’insupportable remake hollywoodien. Des musiques refaites plan par plan, à l’identique. Les albums de Slowdive et de Grandaddy sont moins la reprise d’une œuvre qu’une simple répétition. Pour ce qui est de la reprise d’une œuvre, il faut aller consulter le cas Don Bryant. J’ai donc essayé d’écouter, jusqu’à l’écœurement, le dernier Grandaddy. Aucun arrière plan, jamais de basculement me plongeant de l’état passion à une satiété proche du dégoût, dégoût qui me forçait jadis à ne plus écouter un album durant un temps donné pour mieux m’y replonger après une période de jeûne nécessaire. Non, désormais, il s’agit d’une simple fréquence – l’ennui, l’ennui des groupes qui ne changent pas pour satisfaire des enfants qui ont vieilli. Voilà un bouleversant paradoxe, celui de la pop moderne. Cette impression qu’autrefois les disques nous façonnaient et qu’aujourd’hui, nous leur demandons de nous ressembler.
J’aurais aimé que Grandaddy ne sorte jamais cet album, étant entendu que le groupe était allé au bout de sa proposition musicale avec The Sophtware Slump. Il faut savoir disparaître. Parfois, j’ai l’impression que nous sommes responsables de ces retours pathétiques, nous, pareils à de grands capricieux ne voulant pas croire aux choses qui finissent. Quels mélomanes sommes-nous devenus ? Plus que la qualité de ces retours musicaux, voilà la véritable question. //

/ Ce que j’aime en écoutant les albums des Smiths, c’est qu’à chaque étape de ma vie, leur approche se métamorphose. Voilà le bien précieux de la musique: elle a beau, parfois, appartenir au passé, elle se fait pourtant actuelle et nécessaire, pour chacun d’entre-nous, à un moment donné. Ineffable liberté qui rend la voix d’un mort plus incarnée que notre voisin de table lors d’un déjeuner.
Je crois que mon pire cauchemar serait d’apprendre un matin, sur un quelconque réseau social, la reformation des Smiths. Chacun irait de son commentaire puis viendrait le moment du teaser de l’album que l’on regarderait sur Youtube et pour finir, on écouterait en streaming cette production référencée et bien mise comme un musée. La bataille sera, ce jour là, définitivement perdue et on y sera pour beaucoup. //

 


Lyonel Sasso
Juillet 2017

 

 

Illustration : Paolo Uccello, La Bataille de San Romano (extrait) – Vers 1440

Nesles

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LES ESSENTIELS DE NESLES

Il y a sans doute autant d’essentiels que d’heures dans une vie.
Cette photo aurait pu être une autre.

J’aime le bordel. Ce qui bouge. Le mouvement.
C’est une sorte d’équilibre.
Trop d’organisation me rend cinglé.
Mais trop de foutoir m’étouffe. Plus d’air.Une photographie c’est d’abord un cadre, et j’ai horreur des cadres.

Ici bien sûr, il y a ce qui est montré, mais surtout ce qui est « hors-cadre », à côté, en-dessous, enfoui dans les couches, les sous-couches – pour peu qu’on ait envie d’y passer du temps.

Prendre de la hauteur c’est se libérer d’une finitude – en l’occurrence, de celle d’une photographie.
De l’air encore.

Livres, bibelots, disques, instruments, carnets, crayons, pinceaux, radio, gommes sont autant d’organismes vivants, incessamment découverts, touchés, caressés, parcourus, lus, relus, scrutés, trimballés, écoutés, aimés, choyés, utilisés, oubliés, repris. Des milliers de fois. Sans aucune lassitude. Ou parfois si. Et sans hiérarchie aucune.
C’est une succession de cycles, de priorités ou d’abandons qui cohabitent, se chevauchent, s’annulent ou se complètent.

Bonne balade.

Nesles
Février 2017

Plus d’informations sur Nesles
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nesles.bandcamp.com
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Dave O’Grady

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LES ESSENTIELS DE DAVE O’GRADY (aka Seaform Green)

Gibson J45 – This is the guitar that I take everywhere, I use for every gig and is my dearest friend.
Hat – I found this hat in a lovely little shop in Amsterdam a couple years, as soon as I put it on..it was difficult to take off, so I kept it.
Headphones – No explanation necessary.
Drawing – This sketch is by Rich Robinson called ‘American Beauty’, it was very generous gift from him a few years ago. I think it is a perfect combination of beauty and ugliness.
1977 Fender Champ w/picture of myself and my mother – I got this amp for £100 on a used good website, I haven’t changed anything..it sounds killer!
Writing book w/ turquoise stone – I am always trying to take note of my thoughts, where better to take them down.
Polaroid Camera – I love this camera, It’s much more special when someone wants a photo with you and you can offer them a actual photo than a stupid selfie.
Howard Marks – Mr Nice was the first book I read for pleasure whilst working on a ship in the north sea one Christmas. A man who has led an incredibly exciting life.
Incense & Pipe – Well…its good to relax.
Oscar Wilde – His writing is humbling.
Scarf – I grew up in Dublin, Ireland. My first emotional experiences were watching St Patricks Athletic win and lose. It’s also where I learned to sing…”Oh when the Saints, go marching in, Oh..”
Vinyl (Eddie Harris) – I never collected anything, so now I collect vinyl…and Eddie Harris is wonderful musician, I was never into Jazz but he grabbed me.

Dave O’Grady
February 2017


Plus d’informations sur Dave O’Grady
www.seafoamgreenband.com
mellowtonerecords.com

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Thomas Guerigen

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LES ESSENTIELS DE THOMAS GUERIGEN

Dark Crystal de Jim Henson : un de mes films fétiches, de par la technique employée de marionnettes filmées en direct.  J’espère un jour réussir à faire un long métrage avec cette même technique.

Jules Verne parce que j’aime son univers et qu’il m’a fait rêver. Je rêve d’adapter Vingt mille lieux sous les mers en animation.

Du coca zéro : ma boisson fétiche, je fais la tête quand il n’y en a pas dans un café et je suis capable d’apporter ma bouteille quand je suis invité…

Une visseuse Dewalt et un mètre Stanley, parce que j’aime bien bricoler et ce sont de bonnes marques pour ça.

Un moule, une spatule et le fouet de mon Kitchen Aid parce que j’aime faire de la pâtisserie, rien de bien élaboré mais ça me détend.

Gustave Doré, pour son œuvre mais surtout pour la composition des décors et la mise en scène dans ses gravures.

Mes clés, parce que c’est utile.

Un billet de concert, parce que j’y vais plusieurs fois par semaine.

Ma chemise fétiche bleu électrique qui commence à être un peu usée.

Et la marionnette de mon premier court-métrage Klonox.

 

Thomas Guerigen
Février 2017

 

PS: Ont été oubliés sur cette image :
– ma casquette car j’en porte toujours une mais là je l’avais justement sur la tête…
– mon MacBook avec lequel je fais tout dans ma vie.
– alors que la musique est une partie importante de ma vie, je n’ai pas mis de disques, d’albums ou de CDs car je n’ai plus rien pour les écouter.


Plus d’informations sur Thomas Guerigen
www.thomasguerigen.com
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Rey Villalobos

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LES ESSENTIELS DE REY VILLALOBOS (House of Wolves , The Coral Sea)

In the photo I choose objects that symbolize & represent and the things that I hold close to my heart for creating music & art.
Here’s just a few of them :
My first guitar
Old tape recorder that i use to write music with
Frankincense essential oil
Passport
Car keys
Earl grey tea with medicinal mushroom powder
Kerry gold Irish butter
Sage
Grand fir needles
Douglass fir bark
Chopin nocturnes

Photo taken in my home, Ojai California, Dec 23rd 2016


Rey Villalobos
January 2017

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www.facebook.com/houseofwolvesmusic
houseofwolvesmusic.com

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David Champion

LES ESSENTIELS DE DAVID CHAMPION

Here you can see a collection of objects which are important to me both sentimentally and practically.

The guitar is a 1960s Gibson which I found at a flea market in Paris for a fraction of the price it should have been. It’s been a loyal and important companion ever since.

The device in the upper middle of the picture is an audio interface which we use for demoing all of our new music and as such, is a pretty crucial member of the CHAMPS team, along with the microphone on the right hand side of the picture.

Mike and I both have an interest in photography which is reflected by the two photography books here, and the two film cameras you can see which have accompanied us on many excursions and have both captured many memorable moments.

Papillon is one of my favourite books and I find this tale of human endurance and spirit against all odds to be truly inspirational.

Bodysurfers and The Cruel Sea are also personal favourites.

The red book on the right and the typewriter in the middle are both very important tools for writing. I find using a type writer to be particularly satisfying and cathartic.

Paul Simon’s Graceland has been my go-to album for the past few years and I have such huge respect for the way Simon constantly reinvents himself musically.

Finally the watch in the lower middle of picture is an heirloom which I wear every day.

David Champion (from Champs)
Décembre 2016

 

More information about David Champion and Champs
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Gildas Secretin

LES ESSENTIELS DE GILDAS SECRETIN

1- Des objets divers et variés
J’en ai des kilos. Chaque objet est un souvenir propre, il a son histoire et sa charge émotionnelle. C’est pourquoi je ne m’en sépare pas. Et que j’en ai des kilos…
2- Mon bureau de travail
Ici en mode “home studio”, il est plus généralement en mode “studio graphique”. Dans une circonférence de 2 mètres autour de mon iMac (qui se compose de tiroirs remplis à ras bord, d’étagères garnies et de recoins oubliés) se trouve l’essentiel de ce dont j’ai besoin pour travailler. J’y passe le plus clair de mes journées … C’est mon vis-à-vis quotidien et cela se passe bien pour l’essentiel.
3- Des épices
Plus généralement tout ce qui a un rapport avec la cuisine. Je suis souvent aux fourneaux.
4- Un carnet et un crayon.
On a toujours besoin d’un carnet. On pourrait dire la même chose d’un bon crayon mais je n’ai pas tant d’affinités avec les crayons qu’avec les carnets … un critérium de base fait l’affaire, de temps en temps un bon feutre. Mon stylet se tape l’incrustation sur la photo, il n’a pas vraiment sa place ici mais c’est en fait le “stylo” que j’utilise le plus …
5- De la nature
6- Des bouquins et de la musique
Je travaille toujours en musique. Liste non exhaustive et incomplète de ce que j’écoutais dernièrement dans la petite étagère (Lou Reed, Biolay, Chevalrex, Devendra, Vincent Liben … ) Non visible sur l’étagère : Rémi Parson, Nicolas Jaar, Nick Cave …
Quelques bouquins aussi. En résumé des lectures assez mainstream : de la SF pour me détendre, de la poésie pour me baigner, un peu d’ésotérisme ou de mythologie pour gamberger, et un petit chef d’œuvre de temps en temps (ici Basile et Massue de Arnaud Le Gouëfflec) pour remettre les pendules à l’heure.

Non présent sur ces photos : la famille évidemment, les amis cela va de soit, et mes appareils photos.

Gildas Secretin
Novembre 2016

 


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thomas jean henri (jour 5)

LES ESSENTIELS DE THOMAS JEAN HENRI

pascal, rencontré à paris un vingt deux septembre 2016, est un homme qui écrit.

A l’encontre

les gens sont bizarres.
suis-je ma normalité ?
sont-ils si différents ?

j’aime les gens.
je ne m’aime pas assez,
ou peut-être trop ?
défier les habitudes,
jouer avec son danger,
regarder ailleurs.

j’aime la différence.
courir sur l’horizon,
bousculer le confort.
le jeu des 7 erreurs n’en est pas un,
c’est une chance.

j’aime la rencontre.
la première.
briser le miroir.
se confier mais pas trop,
on ne sait jamais.

j’ai rencontré thomas dans sa cabane,
j’ai craqué une allumette
et nourri le feu.

pascal
novembre 2016


Plus d’informations sur pascal : www.bluartwork.com
Plus d’informations sur thomas jean henri
cabanemusic.bandcamp.com

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thomas jean henri (jour 4)

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LES ESSENTIELS DE THOMAS JEAN HENRI

julien, rencontré à nantes un vingt et un novembre 2015, est un homme qui écrit.


je ne sais pas très bien ce qui fait que l’on se rencontre. la plupart du temps on se manque. on se passe à côté, tout empêtrés que nous sommes dans nos vies respectives (et distraits, il faut le reconnaître).

et puis parfois, la mer s’efface, nous voilà libérés de nos insurmontables insularités, et on se rencontre. il me semble que c’est ce qui nous agite au fond, atteindre l’autre qui habituellement se dérobe. on se doute, quoique confusément, qu’il n’y a rien de plus important que ce tressaillement de l’âme et du cœur.

une première rencontre répète les suivantes, celles que très vite on vient à espérer et qu’il nous faudra provoquer ou attendre.

c’est une répétition mais quand elles sont réussies, (on peut rater une première rencontre, ce n’est pas forcément rédhibitoire) on ne joue pas la comédie, c’est inutile et cela obligerait à différer la rencontre.

c’est une répétition mais on y chérit nos erreurs et nos maladresses, elles nous ressemblent et il est doux de s’y rencontrer soi-même.
on s’y reconnaît mutuellement comme l’autre qui comptera, sur qui l’on pourra compter et qui pourra compter sur nous.

cet autre qui aura à nous en raconter (sur nous aussi).

cet autre dont le cœur content suffira à nous contenter nous mêmes.

le 21 novembre 2015, à 700 kms de marseille et de bruxelles (il fallait bien cela), et alors que la tristesse recouvrait presque tout, j’ai rencontré thomas.

julien
novembre 2016


plus d’informations sur  julien : www.facebook.com/Orso-Jesenska
Plus d’informations sur thomas jean henri
cabanemusic.bandcamp.com

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thomas jean henri (jour 3)

LES ESSENTIELS DE THOMAS JEAN HENRI

coraline, rencontrée un douze décembre 2015 à schaerbeek, est une femme qui écrit.


à force de se croiser, d’échanger ou de partager des cafés, il peut arriver aux humains de se rencontrer.
à la faveur du hasard, par le truchement de circonstances mal définies, d’émotions vaguement digérées: la chose a lieu.
elle fait irruption, arrimée à l’instant, et ce n’est qu’à posteriori, à contretemps, qu’il devient possible de la nommer.

ce que dévoile cette occasion ne ressemble à rien de connu, de promis ou d’espéré. rien d’autre que la vérité d’un lien qui n’exige pas mais impose un constat: le mystère de qui nous sommes momentanément dévoilé.

face à face, côte à côte, cernés par le silence et le verbe alternants, nous empruntons une fréquence et une acuité inédites qui se dissoudront aussitôt l’instant passé.

nous-nous rencontrons à l’endroit précis où nos impossibilités se rejoignent. chacun laissant l’autre au bord de sa fracture à se demander comment cette fois il sera possible de la contourner, de la réduire ou pour un temps s’y noyer. nous restons interdits, implacablement isolés face à la solitude de l’ami, l’amant, le parent approché. infiniment condamnés à rester sur la rive de sa propre complexité habitée par les ombres, les congères, les lumières du passé : ce terrain vague où une mécanique s’est au fil des ans dessinée, cette zone grise à laquelle sans cesse nous revenons parce que c’est tout ce qui jusqu’ici nous a été enseigné.

nous-nous rencontrons quand sur la table offrandes et limites sont déposées. simultanément, généreusement, fermement. quand il n’y a plus personne à sauver, à maudire, à implorer. à l’instant où quelque chose en soi, en l’autre, s’est conjointement incarné. par la précision des mots, la présence, la minutie des gestes et des regards plantés. justes. juste plantés dans cet irrésistible présent qui dit me voici. tel qu’en moi-même, me voici. tu peux parcourir mon corps, retourner ma peau de bête et d’enfant mal né. tu peux investiguer, investir l’arrière de mes pensées, les tiroirs de mon appartement, la face cachée de mes rêves. tu peux le faire mais cela t’épuiserait parce que tu n’y verrais rien. rien d’autre. aucune autre réalité. pas de plus grande sincérité ni de meilleure possibilité qu’à cet instant précis, ce moment donné où par la grâce d’une quelconque vérité nous-nous sommes vus, dévoilés.

ici un risque. ici un miracle. un don. une fragilité.
ici un fanion vaillamment planté sur la cime de notre humanité.

il arrive que ces rencontres premières aient lieu et libèrent un espace où le lien se noue, ou se défait ; quand tour à tour reconnus et reconnaissants, renonçant à la fuite, nous est enfin donnée la possibilité d’aimer.

coraline
novembre 2016


plus d’informations sur coraline : breche.org
Plus d’informations sur thomas jean henri
cabanemusic.bandcamp.com

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