The Cult, Sonic Temple Le premier disque que j’achète. J’ai 15 ans, et j’en prends pour perpet’. Chaque centime d’argent de poche va passer dans l’achat de ces objets. C’est une époque où tout nouvel album écouté ouvre une nouvelle porte, qui va donner sur encore une autre porte. Les cassettes enregistrées chez d’autres viennent compléter la petite collection personnelle. Et on construit ainsi un parcours musical qui étoffe la mémoire, qui décore la vie. Attention, j’enchaine les platitudes… Au-delà du symbole c’est un album que je prends toujours plaisir à écouter, une sorte de retour à la base nécessaire régulièrement.
Medicine, Drugs … et la boucle est bouclée puisque c’est le dernier album que j’ai acheté. Symbole d’une époque, c’est un album uniquement disponible en vinyle. Je ne suis pas un fan inconditionnel du vinyle. Je n’en achète que si l’artiste n’a pas prévu de version CD. En revanche je suis un fan inconditionnel de l’exemplaire physique. Même si j’écoute beaucoup de musique depuis mon téléphone, impossible de me passer de l’objet. Medicine est un groupe américain que j’adore depuis le début des 90s, une espèce de My Bloody Valentine américain, très bruitiste, qui noie ses mélodies psychédéliques et paradoxalement très douces sous une épaisse couche de distorsions.
David Crosby, Croz Quand je parlais des portes qui s’enchainent… J’ai été élevé au son de la musique anglo-américaine des 60s aux 80s. En 1990 quand j’achète Nowhere de Ride, on parle des Byrds. Puis sur Vs Helmet Sebadoh reprend « Everybody’s Been Burned… » des Byrds. Je fais alors un bond en arrière et plonge dans les albums du groupe et ceux de leurs frères, cousins, neveux, de Jefferson Airplane à Love, des Doors à Buffalo Springfield pour ne citer qu’eux. Croz est un excellent album qui marque le retour en forme d’un artiste au parcours chaotique. A sa sortie je l’ai écouté avec une frénésie que je n’avais pas connue depuis longtemps. J’étais séduit par les mélodies, la production, et exceptionnellement les textes (si une mélodie est belle je peux adorer une chanson au texte insignifiant voire idiot… la pop quoi!). J’étais aussi très marqué par le fait que cet album faisait suite à des années de disette (du moins sous son nom, car le groupe CPR constituait déjà un préambule à ce retour en forme). Je suis personnellement inquiet quant à l’idée qu’un jour je ne trouverai plus de mélodie, d’idée d’accompagnement, d’inspiration en général. Et là, Crosby montrait qu’à son âge déjà avancé, il pouvait encore faire un aussi bel album. Rassurant et inspirant.
Des baguettes, un micro, des médiators Des accessoires qui illustrent mon cheminement musical. A 7 ans je voulais jouer de la batterie. Je voulais jouer les breaks de batterie de Phil Collins sur « In the Air Tonight ». C’est à l’adolescence que cette envie s’est vraiment concrétisée. Dès mon premier groupe j’ai commencé à faire quelques voix. Et puis au moment de monter mon groupe suivant, n’arrivant pas à trouver de chanteur, je m’y suis mis. Pas complètement par vocation, mais pas non plus complètement à reculons. En chantant j’ai commencé à participer à la composition, et donc à sentir le besoin de jouer d’autres instruments. Même si j’ai fait certains enregistrements seul du début à la fin, je prends aussi plaisir à me faire accompagner par Pierre, Matthieu, Lucas, Nine, Marie, Joao, Stéphane. Et j’adore faire des apparitions sur les disques des autres. Mais ça fait un moment que ça n’est pas arrivé, soit dit en passant!
Spirou et Fantasio, La Mauvaise Tête Un volume au hasard, mais le hasard fait bien les choses. Je ne suis pas un grand connaisseur de bande dessinée. Mais je ne pourrais pas me passer de certaines séries, certains personnages devenus familiers dont Spirou et Fantasio font partie. J’adore leur univers kitsch, désuètement moderne.
Les Vacances de M. Hulot C’est un film que j’ai vu pour la première fois à l’adolescence et qui m’a fait un peu le même effet que Loveless de My Bloody Valentine, ou …Well? de Swell. J’avais le sentiment de ne pas être sur de bien tout comprendre à cet ovni, mais j’adorais le mélange de fantaisie, de nostalgie, et de poésie. Comme certains disques, j’y retourne souvent.
Une casquette J’ai un point commun avec Michael Stipe : la coupe de cheveu ! La casquette est un accessoire devenu indispensable donc. Cette casquette en particulier me permet aussi d’exposer ma passion pour le football américain. Un sport qui pourrait se résumer à sa violence apparente, qui incarne tous les excès qui auraient pu ou du me repousser, mais dont j’adore la dimension stratégique, comme un match d’échecs joué grandeur nature par des mecs surentrainés.
Les coureurs en plastique Autre sport qui me passionne, le cyclisme. Le Tour de France est un moment incontournable de tous mes étés depuis que j’ai… 5 ans? Et gamin j’adorais jouer aux petits coureurs avec des billes ou avec des dés selon les saisons. Que ce soit avec des coureurs en plastique, avec une guitare ou des disques, j’aime jouer. « I’m just a boy with silver hair ».
Parler de ses propres essentiels est quelque chose de particulièrement effrayant en ce qui me concerne. Notamment à cause de la lourde tâche de préparation : il faut trier, sélectionner, organiser, chercher une cohérence, une cohésion. En théorie, je suis familère de ce genre d’exercice, lorsqu’il ne ME concerne pas. Ce qu’il faut savoir c’est que je suis quelqu’un de particulièrement dispersée. Ranger n’est pas forcément quelque chose de naturel pour moi.
Le soir même j’ai commencé à rassembler les objets. Je me suis donc retrouvée avec une montagne de livres. Une redécouverte plus qu’intéressante pour moi-même. Donc merci déjà pour cela.
En toute honnêteté je n’ai pas trop su par quoi commencer, alors j’ai fini par m’arrêter à la sélection la plus restreinte possible, et déjà je trouve qu’il y en a bien trop !! J’ai disposé ces objets à plusieurs endroits de l’appartement, afin d’essayer de prendre la photo la plus avantageuse, la moins brouillonne possible. Sacré challenge.
Commençons par le début. Enfin, décidons de façon arbitraire qu’il s’agit du début de l’histoire, car sur la photographie ce n’est pas forcément évident.
Le téléphone J’ai pris des notes sur mon téléphone. Il ne figure pas sur la photo puisqu’il m’a servi à la prendre. Cela commence bien n’est ce pas… J’en suis esclave. Consciemment. Il me sert à peu près à tout. J’écris, je fais des photos, des recherches, des images, je regarde des vidéos, j’écoute de la musique. Bref sans cette chose j’imagine que je serai perdue, car il s’agit clairement d’un doudou destiné à combler l’angoisse. Il remplit le vide et mon esprit. Je suis une hyperactive molle. J’ai peur de m’ennuyer. Je fais cinquante choses à la fois. Je me passionne aussi vite que je me lasse. Je parlais de doudou, en fait je crois que cet appareil me fait plutôt office de baby-sitter ainsi que d’animateur de loisirs. Le casque je l’ai toujours avec moi. Pour écouter de la musique, notamment lorsque je marche.
La musique Évidemment, si je devais choisir un groupe emblématique cela serait New Order. Ce groupe m’accompagne depuis 25 ans, avec plus ou moins de fidélité. J’en fait une source d’inspiration pour à peu près tout dans ma vie : je m’inspire de leur iconographie , je les ai tatoués sur mon bras, Substance est le titre de mon blog, je vénère Barney plus que n’importe qui dans ce bas monde, bref : l’abominable fanatisme au premier degré dans toute ce qu’il a de plus risible. Mais j’assume complètement. Je pourrais parler de Joy Division aussi, ou d’autres groupes qui ont participé à ma construction personnelle. Mais le but n’est pas d’écrire un roman je crois. Quoi qu’il en soit, la musique est importante, elle a constitué d’ailleurs pendant de longues années l’essentiel de mon activité professionnelle. Acquérir, conseiller, échanger : tel était mon quotidien pendant assez longtemps, au sein d’une médiathèque municipale.
La musique m’a permis aussi de rencontrer, virtuellement et «IRL» des personnes d’une énorme valeur. La plus importante rencontre sur le réseau social est sans conteste celle avec Matthieu Malon. De cette amitié est née Brûlure. Un projet poético musical déjanté (s’il fallait le définir) orchestré à des centaines de km de distance. J’écrivais les textes, les enregistrais, les envoyais, il faisait la musique. C’était drôle. Un vrai bon moment.
En musique les querelles de clochers me dépassent un peu… les discussions sérieuses, les gens qui s’écharpent comme si leur vie dépendait de la conversion du monde entier au fanatisme qui les concerne, je ne pige pas trop. Mais j’aime m’en amuser. Quelle perte de temps franchement, alors que tout le monde sait que le meilleur groupe du monde est New Order!
Les images J’ai commencé par faire vaguement de la photo. Ensuite, temps libre disponible à l’infini aidant, je me suis prise de passion pour la gravure et la sérigraphie, suite logique finalement lorsqu’on aime les images. Mes photos sont essentiellement réalisées à partir de mon téléphone, mais depuis peu j’ai un « vrai » appareil. Je n’ai aucune idée de la manière dont fonctionne la bête. Je fais ça au hasard. C’est ce que je dis tout le temps, j’ai le hasard avec moi. Et je le remercie de m’accompagner en toutes circonstances. Cette photo de l’Atomium de Bruxelles est la première que j’ai faite développer et affichée dans mon intérieur. C’est un morceau de ma ville natale qui trône bien en évidence.
Les publier ces images a été une véritable épreuve pour moi. J’ai créé donc un blog, Instagram m’occupe pas mal en ce moment. Tout cela je le dois particulièrement à Matthieu qui a su m’encourager et me filer un coup de pied au cul. J’ai commencé avec les pochettes de Brûlure en fait. Et maintenant je continue….
Les livres A la base, c’est mon métier. Je crois que ceux qui m’ont le plus marqué sont ceux que j’ai lu plus jeune. Mon principal problème, c’est que je ne me souviens pas toujours de ce que j’ai lu. En fait la plupart du temps j’oublie. Les deux ouvrages que j’ai choisis ont été lu bien plus récemment.
Je voue une admiration sans failles à Houellebecq dont les livres résonnent en moi comme une évidence. J’ai vraiment l’impression que le type écrit pour moi, il y a une connexion. En plus je le trouve terriblement drôle. L’humour c’est tellement important.
J’ai aussi choisi Blackhole de Charles Burns. C’est une bande dessinée d’une noirceur absolue, un vrai chef d’œuvre qui pour moi doit absolument figurer dans tout bonne bibliothèque.
Le reste…. La couture, la cuisine, les jeux vidéo, les lunettes que je ne mets jamais (j’aime le brouillard), le petit livre rouge (clin d’œil à mon soi-disant militantisme fantasmé d’extrême gauche) et Sainte Rita. Cette fameuse sainte est à l’origine du pseudo que je traîne depuis quelques années sur Internet. Elle est la patronne des causes désespérées. Attention, je ne m’attribue absolument pas la qualité du désespoir. En revanche, être la patronne, c’est une idée qui me plait bien.
A force de répéter que je ne suis pas matérialiste, je me rends compte – en répondant à ce petit exercice – qu’il y a finalement des objets auxquels je tiens et qui forment mon quotidien.
Ce fut relativement aisé de les rassembler et, contrairement à mes craintes, je n’ai pas eu besoin de retourner la maison, ils sont bien là, à portée de main tous les jours.
Et même si je ne les touche pas régulièrement – pour certains – ils me sont tous indispensables.
Ma Guitare préférée
C’est un modèle plutôt rare de Fender Telecaster. Je l’ai découverte un jour de l’an 2000 dans un magasin de Pigalle à Paris. A l’époque, elle était neuve et je n’avais pas les moyens de l’acheter. 2 ans plus tard, ayant économisé et cette fois-ci décidé à m’acheter une bonne guitare, je suis retourné dans le même quartier (mais dans un autre magasin) et je suis tombé nez à nez avec elle… Exactement la même ! C’était une chance incroyable (le destin ?) et depuis c’est la guitare qui me suit partout, à la maison, en studio, sur scène. Certains la surnomment “doudoune” et je l’aime d’amour.
Un casque
Vivre en ville et faire de la musique bruyante, c’est rarement compatible. Et quand en plus on travaille la nuit, il faut un bon casque, précis et qui ne fatigue pas les oreilles. Celui-ci est irréprochable et m’évite pas mal de querelles inutiles avec mon voisinage.
Une Magic 8 Ball
Je ne suis pas du tout superstitieux, je ne lis jamais l’horoscope mais j’avoue que je lui demande souvent conseil à cette boule, comme ça juste pour voir. Elle trône dans le salon, je l’ai ramenée d’un voyage à Los Angeles, elle parle donc anglais, mais on trouve désormais une version française depuis quelques années par chez nous !
Des livres
Je lisais beaucoup, je lis moins. C’est un constat qui me rend souvent triste et j’essaie de m’aménager du temps disponible pour lire. Avec mon grand âge, je m’endors au bout de quelques lignes le soir dans mon lit, alors il faut trouver d’autres moments dans la journée. J’aime particulièrement la littérature américaine et John Fante est sans doute l’écrivain qui m’a le plus touché ces 30 dernières années.
Un Ipad
Je m’arrange avec le temps mais je reste un geek. Ca fait râler pas mal de proches, ça me fait râler aussi parfois, mais je suis accro aux machines depuis des années. J’ai eu mon premier ordinateur au collège (un TO7) et au fil du temps j’ai adoré bidouiller des boites à rythmes, des ordinateurs, des samplers, des pédales d’effet, des synthétiseurs etc… L’arrivée de l’Ipad a été une vraie bénédiction pour moi car c’est l’outil parfait, nomade, qui me permet de rassembler toutes ces passions dans un seul outil ultraportable. Ca n’a vraiment rien d’un gadget, comme je l’entends dire souvent. Grâce à lui, j’écris, je compose, je programme des rythmes, des mélodies, je fais des démos, je programme des séquences pour mes concerts. Je lis aussi, je vais sur internet, je regarde des films ou des séries, où que je sois. Il me serait bien difficile de m’en passer…
Des films
Mes parents ont eu très tôt un magnétoscope et j’enregistrais beaucoup de films. J’ai été un spectateur assidu entre 15 et 30 ans. J’allais beaucoup au cinéma, j’achetais des dvd etc… Comme pour la lecture, j’ai moins de temps à y consacrer alors je suis plus sélectif. Mes goûts n’ont pas grand chose d’original et je suis un adorateur (pas très objectif) de Brian de Palma, ce doit être un des rares réalisateurs dont j’ai vu tous les films. J’aime aussi beaucoup les dvd et documentaires musicaux.
Des disques
La musique, c’est toute ma vie. Depuis tout petit d’abord comme auditeur, j’ai ensuite appris le piano dès 6 ans avec un professeur qui m’a donné l’amour de la musique et des mélodies. Du plus loin que je me souvienne, j’ai également toujours chanté, pour moi d’abord, pour des repas de famille, pour un petit magnétophone que mes parents m’avaient acheté… La musique a toujours rempli mon quotidien.
Il y avait pas mal de disques chez mes parents et j’ai acheté mon premier à 10 ans : c’était “Beat It” de Michael Jackson, au centre commercial du coin. Depuis, j’achète toujours beaucoup de disques, il y en a partout dans la maison et j’espère que ça va durer encore longtemps !
AU DÉBUT
— Quels sont tes premiers souvenirs musicaux et/ou (photo)graphiques ? Quelle(s) image(s) en gardes-tu ?
Stéphane — Le premier souvenir musical, celui qui rentre dans la catégorie “a marqué” , remonte à l’adolescence. Je devais avoir 15 ans. Je passe l’après-midi chez un copain, qui habite pas loin de chez moi, un peu plus âgé (je ne rappelle même plus son prénom et son nom), beaucoup plus “punk” surtout. Je repars de chez lui avec une K7 de The Smiths (en face A) et de In the Nursery (en face B). C’est ce jour là, que j’ai compris qu’il existait d’autres musiques, d’autres groupes, d’autres alternatives. Je pense que cette K7 est ma pierre de Rosette musicale. Sans elle, je n’aurais pas eu cette curiosité pour la découverte musicale qui m’anime encore aujourd’hui. Le tout 1er cd que j’ai acheté, n’aurait sans doute pas été The Jesus & Mary Chain, et je n’aurais même jamais écouté, quelques années plus tard, les Pixies ou Dead Can Dance.
Le premier souvenir (photo)graphique interviendra quelques années plus tard, début 90, quand je découvre le travail de Vaughan Oliver et de Simon Larbalestier sur le label 4AD. Les artworks de V23 à cette époque m’ont tellement marqué, que pour la 1ère fois, je regarde les crédits des disques pour en découvrir les auteurs, chose que je n’avais jamais faite avant.
“Les artworks de V23 […] m’ont tellement marqué, que pour la 1ère fois, je regarde les crédits des disques pour en découvrir les auteurs”
Y a t’il des liens entre ton parcours photographique et ta passion pour la musique ? Stéphane — Oui forcément, puisque je découvre la photographie par le biais de mon travail (je bosse dans un service de com à l’époque) et que rapidement après, je fais la rencontre d’Erik Arnaud. J’ai donc mis le 1er quasi de suite au service du 2ème, quand Arnaud (son vrai prénom) m’a demandé si je pouvais m’occuper de l’artwork de son 3ème album “l’armure”.
L’occasion de participer, à ma manière, à la sortie d’un disque pour un artiste de son talent était trop belle, pour ne pas être saisie. Ma 1ère vraie série photographique (de(s)composition) en découle.
Autodidacte, je n’ose pas aller à cette époque vers un travail photographique “conventionnel” parce que j’ai peur d’être jugé par ceux qui sont “photographes” et qui parlent technique avant tout (diaph, ouverture, point, etc). Comme je ne suis pas vraiment graphiste non plus, cette série qui mélange les deux aspects, me permet de ne pas être jugé sur l’un ou sur l’autre aspect, c’est commode.
Toutefois Arnaud, qui sait ce qu’il veut, me demande de lui présenter des “vraies” photographies. Je passe donc le cap grâce à lui, et je fais les séries “renaissance” et “darkness”. Plus tard, quand on se lancera un week-end de septembre 2008 dans les photos pour son disque, je ferais l’expérience du portrait. Mon apprentissage photographique et la musique sont donc intimement liés, puisque le 1er découle du second. Sans cette rencontre avec Arnaud, je ne répondrais pas à ces questions aujourd’hui ; je lui dois beaucoup.
Comment as-tu associé la musique et la photographie ? Est-ce une démarche volontaire ou le fruit du hasard des rencontres ? Stéphane — Je n’ai jamais eu l’ambition de faire de la photo, pour exposer ou vendre mon travail, et je ne me suis jamais considéré comme un artiste, je trouverais ça extrêmement prétentieux de ma part.
Il se trouve juste que j’ai ce savoir faire là, et surtout la chance de réaliser des clichés qui plaisent à un petit nombre de gens, et, en tout cas suffisamment, pour que quelques artistes me demandent à l’occasion, d’illustrer leur propre travail musical.
Qui plus est, quand tu es passionné de musique comme je le suis, sans être musicien (à mon grand regret), avoir la possibilité d’être associé un projet tel qu’un disque, pour des personnes que tu admires en plus, c’est une opportunité qui ne peut pas ne pas être saisie.
Aujourd’hui encore, quand je commence un travail photographique, j’ai toujours en tête qu’il pourra illustrer un jour une sortie de disque. C’est pour cette raison aussi que j’ai toujours travaillé dans l’esprit de séries, pour avoir de la matière dans l’hypothèse d’un travail graphique, pour illustrer la pochette, mais aussi son dos et son intérieur.
GRAPHISME ET MUSIQUE
— Certains mouvements musicaux ont accordés une place essentielle à l’image et au graphisme.
Que penses-tu de cet aspect “visuel” de la musique ? Stéphane — Je dis toujours que le 1er contact avec un disque, bien avant son écoute (pour le public j’entends), c’est la pochette, donc l’image qui y sera associé pour toujours. Il est donc important, mais pas primordial en ce qui me concerne. C’est la cerise sur le gâteau en somme, parce qu’un disque ça reste avant tout de la musique pour moi. Je ne me suis jamais vu ne pas acheter un disque, parce que je n’aimais pas la pochette. A contrario, je ne me suis jamais vu acheter un disque, parce que la pochette me plaisait mais pas la musique.
Toutefois, une pochette peut donner envie de découvrir la musique qui se cache derrière, si on ne connaît pas l’artiste ou le groupe, donc c’est quelque chose qui ne doit pas être négligé. Après, les goûts et les couleurs, c’est autre chose…
Quand je fais une pochette, je me mets au service de l’artiste, il doit être convaincu à 200 % que c’est exactement ça qu’il veut pour illustrer son travail musical. Même si c’est mon travail qui est visible, ce dernier doit rester associé au nom sur la pochette du disque, ce qui est généralement le cas, et c’est tant mieux comme ça.
“Mon apprentissage photographique et la musique sont donc intimement liés,
puisque le 1er découle du second”
Quelle importance accordes-tu à une pochette de disque ? Quel est son rôle ? Stéphane — Moi, je continue à acheter des albums parce que j’aime le disque “physique” associé à la musique. Il y a un coté collectionneur dans cette démarche d’achat. Et si pour le même prix, je peux avoir un objet qui me plaît alors tant mieux. Mais une illustration ne fait pas tout, le choix du papier, du vernis, du support est tout aussi important à mon sens et se sont aussi ces choix là qui mettent en valeur et font la réussite de l’objet. C’est pour ça que j’adore faire des disques pour monopsone, qui donne la possibilité de faire des belles choses.
Pour la collection microcircuit, par exemple, ils ont ainsi décidé de sortir les disques sur un digisleeve trois volets, avec un vernis mat, ce qui augmente le coût de fabrication par rapport à un CD cristal ou même un digipak, avec le traditionnel vernis de base. Mais, le résultat est là, et, quitte à sortir des disques, autant les faire beaux jusqu’au bout même en CD. Pour le LP de Matthieu Malon “peut être un jour”, on a opté pour une sous pochette imprimée avec les paroles des chansons, en lieu et place de la traditionnelle sous pochette, blanche ou noire, en papier.
“…une illustration ne fait pas tout, le choix du papier, du vernis, du support
est tout aussi important à mon sens”
Que penses-tu du “retour” en force du vinyle face à la dématérialisation de la musique et de sa distribution ? Stéphane — C’est forcément une bonne chose. Mais je ne pense pas qu’il y aura un effet durable. La génération “internet” a pris l’habitude de la gratuité de la musique, et même sans parler de téléchargement illégal, tout le monde met à disposition “gratuitement” sa musique via le streaming, ça n’encouragera pas à un retour aux supports physiques, j’en ai bien peur. D’autant plus, que dans le même temps, j’ai l’impression que certains organisent la rareté du vinyle, en en faisant un produit de luxe, via des prix qui deviennent plus qu’excessifs (les frais de port n’expliquent pas tout), la politique du “autant vendre peu, mais cher” quoi (heureusement, on trouve toujours des disques vinyles à des prix accessibles, en général via les “bandcamp” des groupes).
Personnellement, je commence à revenir au CD. Mais à mon grand regret, parce que le format vinyle, c’est une taille adaptée à la photo avec un niveau de détail, que l’on aura jamais sur un CD. Un vinyle, c’est aussi l’obligation, au-delà de l’aspect esthétique, d’écouter vraiment un disque du début jusqu’à la fin, sans la tentation d’appuyer sur le bouton piste suivante.
ARTWORK
— Tu utilises tes propres photographies sur les pochettes que tu réalises. Selon toi, la pochette doit-elle être une véritable réflexion sur la mise en images de la musique où une démarche purement artistique ? Stéphane — Pas de règles. Comme je te disais plus haut, une pochette n’est pas là pour mettre en avant mon travail, mais pour être au service de la musique qu’elle va illustrer. Je ne conçois ce travail que comme une collaboration, avec l’artiste ou le groupe ou le label, si c’est dans le cadre d’une collection bien précise (exemple les fragments de monopsone). C’est donc avant tout un échange, qui permet de donner mon avis, de faire d’autres propositions, si je pense qu’on peut faire quelque chose de plus intéressant. Mais en dernier ressort, le choix revient toujours au principal intéressé, il ne peut en être autrement.
Par exemple, avec Matthieu Malon, que ce soit pour le single “28.02.2013” ou son album “peut-être un jour “, je suis parti sur tout autre chose que ce qu’il avait en tête, après avoir quand même essayé ses idées. Je pensais qu’on pouvait faire mieux, je lui ai donc proposé autre chose et cela l’a convaincu. C’est aussi ce qu’on attend de nous souvent je pense, d’apporter notre vision.
D’ailleurs beaucoup de musiciens aiment, comme pour le mix souvent, confier cette étape du disque à quelqu’un d’extérieur. C’est un vrai choix assumé. Il arrive même ,que l’on commence le travail visuel en même temps que ce fait la création musicale, donc de faire les visuels avant même que les titres soient finis et de les avoir écouté. Ce fut le cas pour “l’armure” et aussi le dernier disque de Nezumi (& Fox). Je fais donc avec les quelques éléments qu’on me donne ou à ma disposition.
Je ne suis pas très “portrait” pour une pochette, je privilégie toujours donc la mise en scène si l’artiste veut apparaître dessus (Matthieu Malon, Bertrand Bestch), mais on peut aussi me donner carte blanche ou vouloir utiliser une de mes photos déjà vu ou me demander une chose bien précise.
“Je ne conçois ce travail que comme une collaboration, avec l’artiste ou le groupe ou le label”
Pour le disque de A Movement Of Return par exemple, le nom m’a de suite inspiré Venise où je me suis pris là-bas un véritable choc temporel. J’ai proposé à Fred un premier travail avec cette photo prise du Rialto et il a dit banco de suite. Il y a à la fois, le mouvement de l’eau, des passants, une vue très ouverte, large et du détail, on a pas cherché plus loin.
Pour le dernier Supercilious, Alex avait une idée bien précise en tête. Un portrait d’une personne âgée dans l’idée du «Staring at the Sea» des Cure. Comme je ne suis pas très “portrait” pour un disque je lui ai fait deux autres propositions qui ne collait pas à ce qu’il avait en tête ; c’est lui qui m’a orienté du coup en 2ème idée, vers la télé et une personne endormie devant. C’était important pour lui, de mettre un vraie personne sur la pochette.
Bref, chaque nouvelle collaboration est différente et c’est ce qui excitant aussi !
Quelles sont tes attentes vis à vis du musicien ou du groupe avec lequel tu collabores sur une pochette ? Stéphane — Une seule, le satisfaire et qu’il soit fier de son disque visuellement. Pas meilleur récompense, qu’un “j’aurais pas rêvé mieux”.
Tu collabores régulièrement avec les labels Monopsone et 03H50. Un label doit-il avoir un univers visuel et graphique qui lui est propre ? Stéphane — Tout dépend de ce que l’on entend par là. S’il s’agit d’imposer un visuel pour identifier de suite un label, je trouve ça dommage. Le label sort les disques dans lesquels il croit, qu’il veut défendre. Mais, chaque disque est différent, tout comme ses artistes ou groupes. Il mérite donc chacun leur propre identité. Sinon, cela voudrait dire que l’on place la structure avant le disque, en dissociant le disque et l’image que son auteur veut lui donner.
Après, pour un label, travailler avec le même graphiste, peut permettre en effet, de combler tout le monde. C’est pour ça que j’ai aimé 4AD, comme je te le disais plus haut.
HALL OF FAME
— Quelles sont la ou les pochettes qui font référence pour toi ? Unknown Pleasures — Joy Division / Design Peter Saville
Green mind — Dinosaur Jr / Photographie de Joe Szabo
Spleen and Ideal — Dead Can Dance / Photographie de Colin Gray
Goo — Sonic Youth / Raymond Pettibon d’après une photo d’un paparazzi sur laquelle on voit Maureen Hindley et David Smith
Surfa Rosa — Pixies / Design V23 avec photos de Simon Larbalestier