Flamboyant. C’est sans doute le terme qui convient le mieux à Dominique Dalcan. La première fois que j’ai entendu sa voix – sans même savoir que c’était la sienne puisqu’il chantait sous le nom cryptique de Xarrax Becker (!) – c’était en 1989, sur « Wake up your heart », titre incandescent de l’album— manifeste « Iconoclasmes » de Complot Bronswick.
Puis ce fut le premier album solo « Entre l’étoile et le Carré » où Dalcan révéla sans fioriture ni (im)posture une sensibilité et une étrangeté déjà fascinantes, proposant une pop raffinée et très subtilement décalée. Avec des chansons comme « Les années bleues » et sa langueur chaloupée, on nage alors en eaux douces et délicieusement troubles… Ce n’est que le début.
Lorsqu’en 1994 sort son successeur, l’immense « Cannibale » c’est un diamant brut jeté dans la marre de la chanson française. Rien de moins. Dès la première écoute, on sent qu’on est face à un grand disque, à la hauteur de ses ambitions affichées et assumées, et impeccable sous tous rapports : label prestigieux et irréprochable (Crammed Discs), équipe de choc : Bertrand Burgalat, Olivier Libaux, Renaud-Gabriel Pion, Mark Hollander, Gilles Martin, David Whitaker… « Le Danseur de Java » subjugue par son lyrisme classieux, « Brian » étonne, émeut et fait sourire (chose rare en pop) en conjuguant texte et parti-pris schizophrénique audacieux, mélodie et arrangements imparables : même quand il règle ses comptes avec le music business, Dalcan reste fin, gracieux, élégant.
La suite, radicale, envoie un signe très clair : en sortant un EP intitulé « Cheval de Troie » Dalcan indique qu’il ne sera pas là où vous l’attendrez. On n’est pas loin du suicide commercial – les fans de Mark Hollis apprécieront. Cinq morceaux foudroyants, où l’on retrouve le très fidèle et regretté Olivier Libaux, s’enchaînent. Cinq morceaux en figure crânement libre, aux titres somptueux et osés : « Aveugle & Sourd », « Le Chant Des Nymphes », « Hélène », « Triomphe & Désolation », « Aveugle & Sourd » remixé par un certain Snooze. Parce que, comme si cela ne suffisait pas, Dalcan va encore plus loin en faisant entrer en scène son double somnolant : Snooze – littéralement « petit sommeil ». Mais ne pas s’y fier : Dalcan est bien debout, réveillé, il va le faire savoir et son nouveau champ de prédilection est un laboratoire sonore, ambiant et dansant. Dalcan observe Snooze s’aventurer sur les rives d’une musique électronique ludique, luxuriante et hautement sensorielle. 3 albums et de multiples simples où se télescopent échanges, expérimentations et collaborations.
La jonction Dalcan/Snooze se fera plus tard sur le diptyque « Temperance », salué par la critique et couronné d’une Victoire de la Musique en 2018. Son chant n’a jamais été aussi vital, déployé, vibrant, bouleversant. J’ai eu la chance d’être un témoin privilégié de la construction de « Temperance » alors que je bossais non loin de lui sur mon album « Permafrost ». Nous prenions nos pauses ensemble. On dit parfois qu’il vaut mieux ne pas rencontrer les artistes qu’on aime, pour ne pas être déçu, pour ne pas se prendre ce fameux et redouté coup de tomahawk en plein front. Je n’ai pas été déçu, pas pris de hachette dans la tête – encore que… J’ai rencontré un homme aussi grand de taille que de coeur, curieux, exigeant, pointu, extrêmement drôle, acerbe et tendre. Dalcan c’est tout ça et bien d’autres choses encore.
Protéiforme. Flamboyant. — Nesles, Paris, février 2022.