Matthieu Malon

My essentials for Stereographics © Matthieu Malon

LES ESSENTIELS DE MATTHIEU MALON

A force de répéter que je ne suis pas matérialiste, je me rends compte – en répondant à ce petit exercice – qu’il y a finalement des objets auxquels je tiens et qui forment mon quotidien.
Ce fut relativement aisé de les rassembler et, contrairement à mes craintes, je n’ai pas eu besoin de retourner la maison, ils sont bien là, à portée de main tous les jours.
Et même si je ne les touche pas régulièrement – pour certains – ils me sont tous indispensables.

Ma Guitare préférée
C’est un modèle plutôt rare de Fender Telecaster. Je l’ai découverte un jour de l’an 2000 dans un magasin de Pigalle à Paris. A l’époque, elle était neuve et je n’avais pas les moyens de l’acheter. 2 ans plus tard, ayant économisé et cette fois-ci décidé à m’acheter une bonne guitare, je suis retourné dans le même quartier (mais dans un autre magasin) et je suis tombé nez à nez avec elle… Exactement la même ! C’était une chance incroyable (le destin ?) et depuis c’est la guitare qui me suit partout, à la maison, en studio, sur scène. Certains la surnomment “doudoune” et je l’aime d’amour.

Un casque
Vivre en ville et faire de la musique bruyante, c’est rarement compatible. Et quand en plus on travaille la nuit, il faut un bon casque, précis et qui ne fatigue pas les oreilles. Celui-ci est irréprochable et m’évite pas mal de querelles inutiles avec mon voisinage.

Une Magic 8 Ball
Je ne suis pas du tout superstitieux, je ne lis jamais l’horoscope mais j’avoue que je lui demande souvent conseil à cette boule, comme ça juste pour voir. Elle trône dans le salon, je l’ai ramenée d’un voyage à Los Angeles, elle parle donc anglais, mais on trouve désormais une version française depuis quelques années par chez nous !

Des livres
Je lisais beaucoup, je lis moins. C’est un constat qui me rend souvent triste et j’essaie de m’aménager du temps disponible pour lire. Avec mon grand âge, je m’endors au bout de quelques lignes le soir dans mon lit, alors il faut trouver d’autres moments dans la journée. J’aime particulièrement la littérature américaine et John Fante est sans doute l’écrivain qui m’a le plus touché ces 30 dernières années.

Un Ipad
Je m’arrange avec le temps mais je reste un geek. Ca fait râler pas mal de proches, ça me fait râler aussi parfois, mais je suis accro aux machines depuis des années. J’ai eu mon premier ordinateur au collège (un TO7) et au fil du temps j’ai adoré bidouiller des boites à rythmes, des ordinateurs, des samplers, des pédales d’effet, des synthétiseurs etc… L’arrivée de l’Ipad a été une vraie bénédiction pour moi car c’est l’outil parfait, nomade, qui me permet de rassembler toutes ces passions dans un seul outil ultraportable. Ca n’a vraiment rien d’un gadget, comme je l’entends dire souvent. Grâce à lui, j’écris, je compose, je programme des rythmes, des mélodies, je fais des démos, je programme des séquences pour mes concerts. Je lis aussi, je vais sur internet, je regarde des films ou des séries, où que je sois. Il me serait bien difficile de m’en passer…

Des films
Mes parents ont eu très tôt un magnétoscope et j’enregistrais beaucoup de films. J’ai été un spectateur assidu entre 15 et 30 ans. J’allais beaucoup au cinéma, j’achetais des dvd etc… Comme pour la lecture, j’ai moins de temps à y consacrer alors je suis plus sélectif. Mes goûts n’ont pas grand chose d’original et je suis un adorateur (pas très objectif) de Brian de Palma, ce doit être un des rares réalisateurs dont j’ai vu tous les films. J’aime aussi beaucoup les dvd et documentaires musicaux.

Des disques
La musique, c’est toute ma vie. Depuis tout petit d’abord comme auditeur, j’ai ensuite appris le piano dès 6 ans avec un professeur qui m’a donné l’amour de la musique et des mélodies. Du plus loin que je me souvienne, j’ai également toujours chanté, pour moi d’abord, pour des repas de famille, pour un petit magnétophone que mes parents m’avaient acheté… La musique a toujours rempli mon quotidien.
Il y avait pas mal de disques chez mes parents et j’ai acheté mon premier à 10 ans : c’était “Beat It” de Michael Jackson, au centre commercial du coin. Depuis, j’achète toujours beaucoup de disques, il y en a partout dans la maison et j’espère que ça va durer encore longtemps !

Matthieu Malon
Octobre 2017

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Michaël Korchia

My essentials for Stereographics by Michaël Korchia

LES ESSENTIELS DE MICHAËL KORCHIA

J’ai tendance à accumuler beaucoup d’objets chez moi, achetés dans des vides-greniers, sur ebay… Je possède une centaine d’appareils argentiques, parfois très anciens, une dizaine de basses… Je sais, c’est n’importe quoi !
Pour mes Essentiels, j’ai décidé de me restreindre : un seul objet par thème. Et pas trop de thèmes.

Ma maison : j’aime beaucoup la maison que j’occupe depuis une dizaine d’années, elle a un charme et une identité assez rares. Vous n’en verrez que le parquet, mais on peut apercevoir d’autres pièces sur 2 vidéos que j’ai réalisées il y a quelques années (1 & 2), et aussi sur des portraits que j’y ai faits.

J’ai réussi à inviter mon vieux chat Booly sur la photo. Il s’est montré peu coopératif mais j’ai pu arracher cette photo avec lui. La photo n’est pas très équilibrée (la partie inférieure droite est vide) mais il y trône, indifférent et hautain, & c’est déjà pas mal.

Comme je l’ai dit plus haut, je possède plein de basses et d’appareils photos. Cette basse, au doux nom de Krunk 75, n’est pas celle à laquelle je tiens le plus, mais elle est la plus étrange : un modèle fabriqué à Eyrevan, en Arménie soviétique, entre 1973 & 1974. Elle est marron foncé à paillettes, en légère forme de violon. Je me prends à rêver qu’elle a peut-être accompagné le Claude François local sur scène. Le manche n’est pas des plus faciles à jouer mais elle a un son très appréciable. Je l’ai pas mal utilisée sur l’album de Photon, pour obtenir un son assez proche de ce qu’on retrouve chez Cure ou Siouxsie and the Banshees.

On continue dans le bloc communiste avec cet appareil Ami 66. C’est un objet fabriqué vers 1966 (logique) en Pologne, avec deux caractéristiques que j’aime bien : le orange avec cet animal étrange en logo, et le contour de l’objectif à pois, très Pop Art. J’ai lu que le nom Ami a été choisi pour sonner français, notre pays étant assez en vogue à l’époque chez les polonais. Je l’ai utilisé sur une seule pellicule.

Je suis un grand fan de François Truffaut, son cinéma me touche et m’émeut de manière singulière. La saga Doinel est au dessus de tout. Ici figure le livret de la très belle expo qui lui était consacrée à la cinémathèque. J’ai inclus sur le morceau un dialogue extrait de Domicile conjugal (dont on peut voir le poster sur deux des vidéos dont j’ai donné le lien plus haut).

Basse arménienne de 1974, carte téléphonique Sesame’s Street, appareil photo Pop Art polonais Ami 66, chocolat aux épices, micro Philips des 50s,
expo François Truffault, fanzine sur Felt, le parquet de mon salon & mon chat Booly.

J’adore le chocolat, j’adore les épices… On devine sur la basse une mini-tablette de chocolat noir au poivre rose, un régal. Sa provenance me tient à cœur.

Je suis fan sincère & enthousiaste des Muppets, de l’Ile aux Enfants, de Sesame’s Street… Notamment de Ernest et Bart. Avec mon groupe Mumbly, à la fin des années 90, j’ai même fait un album en clin d’œil à Ernest. Suite au décès accidentel de mon cousin Jacques Gabay, en été 2015, je suis parti chez lui ranger son appartement. J’ai récupéré des disques de groupes pour lesquels on s’était enthousiasmés ensemble, Stereolab, les Wedding Present, Saint Etienne, les Smiths.. Le billet de son dernier concert, Blur, à Londres… Et aussi cette carte néerlandaise de téléphone, qui me faisait envie depuis 17 ans, et sur laquelle on retrouve mes héros de Sesame’s Street.

J’ai acheté ce micro Philips des années 50 sur un vide-grenier, pour 5 Euros. Je possède, comme vous l’avez compris si vous avez eu le courage de tout lire, pas mal de vieilleries chez moi, & notamment des objets Philips, une marque dont le design a souvent été très élégant : un magnéto à bandes & une lampe à UV des 50s, des micros… C’est incroyable, mais j’ai testé ce micro et je l’ai comparé avec d’autres modernes, bien plus chers. Je n’utilise plus que celui-là pour les prises de voix (et j’en ai d’ailleurs racheté 3 sur ebay depuis, au cas où).

Pour finir, je ne voulais qu’une seule référence dans cette photo à un groupe ou à un chanteur… Alors, Serge Gainsbourg ou Felt ? C’est le groupe de Birmimgham qui a gagné. Cela fait 30 ans que la musique de Lawrence, loser magnifique, m’accompagne & m’inspire… Plutôt qu’un disque, j’ai inclus un fanzine à la très jolie couverture (j’aurais pu mettre à la place le livre de JC Brouchard qui a présenté ses Essentiels il y a peu).

Et donc, pas de vinyle ou de CD sur cette image, je n’écoute plus que des 0 & des 1.

Michaël Korchia
Octobre 2017

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Sauf-conduit #2

Un sauf-conduit est un document accordé par l’autorité d’un gouvernement à une personne de nationalité étrangère et qui garantit à cette dernière la sécurité et la liberté de mouvement à l’intérieur et à travers les frontières de la juridiction de ce gouvernement.

 

Sauf-conduit #2

/ La musique nous habitue aux retours des voix. Ces voix qui, avec le temps qui passe, désignent des morts. C’est souvent un vertige lorsqu’après un évènement merdique – un document CAF à remplir, une rupture amoureuse, une veste trop courte, une partie de bowling imposée et autres complications – notre réflexe premier est d’aller placer sur la platine la face A de Vivadixiesubmarinetransmissionplot. Petite voix de toujours, aigre et mélancolique, trafiquée, travestie, modulée, massacrée, cachée. Mark Linkous, aujourd’hui, est une bouche d’ombre, une absence piétinée et increvable. Sa mélancolie collante manque atrocement. Et que dire de Jason Molina ? Si jeune, perdu et lamentablement trimbalé par une lune opaque, terrible – un alcool trop fort. Une mort soudaine que je réécoute invariablement comme me le confirme mon amoureuse. Voilà venir ces réunions bouleversantes où l’on délivre les moments crûs de nos vies à ceux qui ne sont plus. Ecouter Hold On Magnolia et établir des bilans à la con, des comptes-rendus tristes, puissants, savoureux, magnifiques – vivants. //

/ Je pourrais aligner une suite de phrases considérables, fidèles, débiles, sur ces grands absents mais je crois que de manière imperceptible, à chacune de leur renaissance, ils me soumettent l’idée d’aller voir ce qui se passe chez les présents.
On est ingrat avec nos contemporains, c’est ce que nous indique nos morts. //

/ En travaillant, un peu, sur Dan Bejar – le poète caché derrière Destroyer – j’ai redécouvert un groupe que j’avais laissé un peu en plan pour des raisons absolument artificielles. Je n’écoutais plus ce groupe en question car il n’était plus présent dans les cahiers critiques des journaux spécialisés. C’est un réflexe très con de décréter qu’un groupe n’est plus valable car il ne se remarque plus médiatiquement. C’est un peu comme tous ces gens condamnant des écrivains qu’ils n’ont pas lu. //

/ C’est une question d’appel la musique; une vocation, une voix qui tonne ou que l’on étouffe. Frog Eyes s’est donc de nouveau invité dans mon quotidien, de manière tenace et sans compromis. Carey’s Cold Spring m’avait été conseillé par Dan Bejar lui-même lors d’une interview. Je n’ai jamais écouté ce disque de glace et de prières, de volonté coulée dans le métal le plus pur. Par paresse et pour les raisons indiquées précédemment. Carey Mercer a perdu son père lors de l’enregistrement de cet album tout en apprenant qu’il souffrait d’un cancer de la gorge. Ah ! Ces défis connus, pressentis que nous distribue la vie, de manière groupée, toujours. Longtemps Mercer a pensé perdre sa voix – il a écouté celle des autres: Cohen, Dylan et Jason Molina. Molina et sa gorge tapissée de blues, de tragédies et beautés, a maintenu les cordes vocales de Carey Mercer. Les émotions sont éternelles, elles transpercent et façonnent nos paroles. //

/ Écoutons nos disparus, nos frères inchangés qui nous manquent tellement mais jetons nos oreilles, également, vers ces héros ordinaires; Carey Mercer et Frog Eyes sont revenus avec un disque splendide, étrange – Pickpocket’s Locket. On a l’impression d’entendre Captain Beefheart s’essayer à des reprises du répertoire de Debussy. Immanquable folie pour une incroyable voix retrouvée. //

 


Lyonel Sasso
Septembre 2017

 

 

Illustration : Claude Debussy sur la plage d’Houlgate (© BnF)

David McTague

LES ESSENTIELS DE DAVID MCTAGUE

1. Record & Guitar.
A record.  A guitar.  Music.  Magic. They’re here to symbolise music as an integral part of my life.

2. Bag.
My mobile office. I carry this pretty much everywhere, and it certainly contains a few essentials. This particular specimen is a few years old now, and hails from Marrakech.

3. Flat cap.
I call it my flat cap but I think it’s technically a ‘newsboy’. It’s brown corduroy and I wear it a lot.

4. Ashtray.
This is something I’ve just had for ages. Pretty much since leaving my parents house, so it’s symbolic of that I guess.  Time has moved on, people have moved on and places have moved on… and this ashtray has been along for the ride. I still use it now and again.

5. Mellowtone flyers.
I had to include them here as I’m always carrying them, and leaving a trail around. In this digital age I think it’s really important that we still retain some tangibles, so we never stopped printing our flyers. We use lots of different illustrators, but always monochrome artwork.

6. Ring.
Many years ago I tried on a ring, that was owned by my girlfriend at the time. A slender, square, silver ring; one that fitted my little finger perfectly.  And I didn’t take it off.  It was really thin and broke a few years later, so I had it copied using silver from a ring from the Oman my parents had given me. I wear it every day. If for any reason I don’t have it on it feels very strange…

7. Pencil.
I like to write in pencil.

8. Diary.
I like to have an old paper diary.

9. Computer & Phone.
I guess these days they speak for themselves as essentials.

10. Notebook.
An essential for anyone who wants to get anything done, in my opinion.


David McTague
July 2017


Plus d’informations sur David McTague
mellowtonerecords.com

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Kevin Krauter

Kevin Krauter / Photographie © Katherine Thomas

Stereographics — You play with the band Hoops. What prompted you to make a record of your own songs?
Kevin Krauter — I started writing songs when hoops started basically. Before then I would try and write songs but end up hating them the next day. I wrote a couple songs with hoops back in high school but we took a break when everyone went off to university. Around that time I was spending a lot of time alone in my dorm room and started teaching myself how to use GarageBand. I was in university choir at the time so I started writing little tunes and adding harmony parts on top which eventually turned into full songs. I put those demos up on soundcloud and Facebook and started getting some positive feedback from my friends and family so started thinking “hey I’m not that bad at this!”, haha!

Changes and Magnolia both started out as demos and were recorded over time. Did you have a project in mind or just the idea to record these songs for your own personal project? How did you meet the Winspear label and how did you meet Joe Trinite who produces Changes?
Changes and Magnolia were both recorded at my school with Joe Trinite. We met in choir and he was studying music production. At the end of my second year there he asked if I could help him record some of my songs for a final project, and that was how Magnolia came about. Almost all the songs on that EP were demos I had been working on the year before and I kind of just threw it all together. Around that time, Ben was starting Winspear and when I told him I was recording some solo material he asked if I wanted to put out a tape on his new label. So he started putting out my music and managing me from that point forward. The next year, Joe had to do the same final project so we both sent the whole year in between kind of preparing for how we wanted to record everything, and I spent that time writing songs specifically for this EP. So Changes feels more complete to me because I sort of had a more concrete vision going into it, whereas Magnolia felt more like a happy accident.

Photography by Demi Fenicle / Artwork by Nathaniel Russel


Changes
seems to mark an evolution from Magnolia, where you differentiate and deepen a very refined folk writing. It reminds me of early recordings from English artists like The Pale Fountains and Ben Watt. Do you know them? What are your musical references, the artists you love, your sources of inspiration?
I’ve never listened to The Pale Fountains or Ben Watt, but I’ve heard the comparison before. There’s a record store in Indianapolis where I live called Luna Music, and the owner, Todd, is a friend/fan of mine and a HUGE fan of Ben Watt.
I’ve alway s loved very melodic and soft folk music, as well as chamber choral music so I think that goes into whatever I make. Specifically though, around the time I was writing for Changes, I was listening to a ton of Brazilian artists like Caetano Veloso and Joao Gilberto. I still love the music so much but at the time I was totally obsessed with the tropicalia and bossa nova sound. One of my favorite bands of all time is called The Clientele, and I think I draw influence from them a lot. Lately I’ve been really into Nick Drake.

The cover of Changes is an illustration of Nathaniel Russel. How was your collaboration? You left him free to do what he wanted for the artwork. The open window and the sky that seems to go in smoke contrasts with the internal photo where you seem trapped by a tree. A double personality? A desire to escape?
Nathaniel Russell is an artist from Indianapolis who’s work I’ve always really really enjoyed. I gave him a bit of direction on what I wanted out of the cover but he mostly took the lead on it. He sent me one draft that I gave him a bit feedback on, and the next draft he sent back was perfect. Super friendly guy and really great to work with. His personal artwork is incredible, and I encourage everyone to check it out.
The insert photo is a picture that my girlfriend took of me at a nature conservatory in Indianapolis, and I just really liked it so I put it in the album. No deep meaning behind it, haha!

What are your plans for the future?
For the near future, I’ll be touring with Hoops as well as doing a small bit of touring for my solo music as well. Other than that, I’m trying to write as much as I can for Hoops and myself.

Kevin Krauter
July 2017

More informations about Kevin Krauter
kevinkrauter.bandcamp.com
winspear.biz/kevinkrauter
hoops.bandcamp.com

Merci à Fred Valion grâce à qui j’ai découvert ce trésor…

Jean-Charles Dufeu

LES ESSENTIELS DE JEAN-CHARLES DUFEU

Au départ, il y a eu malentendu. J’ai par erreur cru me souvenir que la série s’appelait les Indispensables… avant de réaliser que ça n’avait rien à voir. Les Essentiels. Fichtre. Qu’est-ce qui est essentiel ? Est-ce que l’indispensable est essentiel ? Pas sûr. En relisant les consignes et en y réfléchissant un peu, puis beaucoup, j’ai fini par mettre de côté la discographie de Dylan, le beurre salé et autres choses indispensables de la vie, pour essayer de revenir à ce qui, au fin fond du fond, devait faire partie intégrante de moi, me définir de façon indiscutable. Tout simplement.
Pas facile comme boulot. Merci Pascal.
Mais j’ai finalement trouvé ça…

La page blanche

Aussi loin que remontent mes souvenirs, il y a eu une page blanche dans ma vie. Enfant, elle occupait un petit coin fuyant de mon imagination. Adolescent, elle s’est matérialisée devant moi, je l’ai même en partie recouverte. Depuis, elle ne m’a jamais quitté, comme une présence quotidienne, elle habite l’antichambre de ma conscience, et je serais tenté de dire qu’elle est ce qui m’est le plus essentiel.

La page blanche ce n’est pas le vide, ni le manque, ni l’absence. C’est le jaillissement à venir, le désir de quelque chose, le préliminaire de l’inspiration. C’est la projection de ce que la création pourrait faire de meilleur. C’est une émanation aléatoire, une goutte d’essence, de soi. C’est finalement ce que chacun veut y voir. C’est un substrat de vous-même ; un reflet fidèle de ce qui vous est essentiel.

La page blanche, c’est l’intention pure, c’est le fantasme de l’oeuvre parfaite, c’est la fulgurance d’un art qui n’a pas été corrompu par sa réalisation. C’est la cohabitation d’un passé et d’un futur, la passerelle entre soi et autrui. C’est la confrontation avec l’intime, le révélateur d’une âme, l’émanation d’un idéal enfoui. C’est “un discours aux asticots” aussi futile à la postérité qu’absolument essentiel.

C’est un dessin à concevoir.
Des mots à écrire.
Le début d’un roman.
La fin d’un poème.
Un bout de partition.
Du travail en devenir.
Essentiel donc.

Jean-Charles Dufeu
Juillet 2017

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Emmanuel Delaplanche

LES ESSENTIELS D’EMMANUEL DELAPLANCHE

Comme ces ingrédients d’une vie bonne que l’on se souhaite à chaque nouvel an ?
Des essentiels tout aussi “invisibles pour les yeux” que ceux du renard de Saint-Exupéry ? Dès lors, comment des objets seraient-ils capables de les représenter ? D’en fixer les infinies variations : celles du bonheur, de l’amour, de la réussite ; celles du corps sain, vivant, mourant ; celles de l’allégresse, de la jouissance, de l’accomplissement.

***

L’essentiel est la vie, donc ce sont les gens.
Les artistes le disent, mes proches le prouvent, mes contemporains capitaux me le montrent : l’essentiel, c’est la vie. La vie, ce sont les gens.

***

Sur un de ses disques, un de ceux du retour après des années de silence, d’anonymat, d’oubli, d’invisibilité, Bill Fay offre une somptueuse chanson qui porte le titre Cosmic Concerto (Life is people) :

Like my old dad said,
Life is people, life is people
In the space of a human face,
There’s infinite variation
It’s a cosmic concerto, and it stirs my soul

***

Les gens sont mon essentiel. Les variations de leurs visages, le produit de leurs esprits. Ceux avec qui je partage mon quotidien : ma famille. Ceux à l’autre bout de la rue, de l’objectif, de l’ordinateur, de la radio. Les gens derrière les livres, les disques, les spectacles. Sur et derrière les scènes, dans et devant les représentations. Les gens en face, à mes côtés, les gens autour du monde, amis, passants, voyageurs. Ou ceux qui ne bougent plus, privés de liberté et de mouvement.

***

Sur la photo, une clef wifi car, comme tout le reste ici, elle me porte vers les gens, leurs musiques, leurs écrits, leurs images, leurs visages, leurs pensées : leurs vies. Les autres biais techniques importent peu. Les supports aussi. Un livre parmi d’autres cependant, essentiel parmi les essentiels, Le Bavard de Louis-René des Forêts.

Un appareil photo pour le regard que je porte aux gens. Et des photos : proches (ici ma mère, mon filleul) ou musiciens (ici Kimya Dawson).

Une radio, que j’écoute abondamment. Mais j’aurais pu aussi faire apparaître le micro dans lequel je parle chaque semaine sous le pseudonyme de Tremolo aux gens d’Evreux et d’ailleurs.

Un ukulélé pour faire figurer la musique que je joue, parfois compose, et qu’il a pu m’arriver d’offrir en concert.

Une craie pour tableau noir. Celle que quotidiennement j’utilise pour faire comprendre le primordial plus que l’essentiel, pour expliquer, pour apprendre.

Toutes choses que je possède parce qu’elles sont intermédiaires entre la vie et moi.

Emmanuel Delaplanche
Juillet 2017

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Sauf-conduit #1. Des bâtiments neufs s’effondrant.

Un sauf-conduit est un document accordé par l’autorité d’un gouvernement à une personne de nationalité étrangère et qui garantit à cette dernière la sécurité et la liberté de mouvement à l’intérieur et à travers les frontières de la juridiction de ce gouvernement.

 

Sauf-conduit #1
Des bâtiments neufs s’effondrant.

/ J’aimerais, de nouveau, me concentrer sur un moment particulier d’un disque et le réécouter jusqu’à ne plus y déceler aucunes nouveautés. Je me faisais cette réflexion en regardant La Bataille de San Romano de Paolo Uccello, ce fantasme d’affrontement où les chevaux de craie, entourés d’armures piquées de rouilles et de sang, présentent une chorégraphie unique. Les armes brisées, pourpres ou ivoires, semblent sorties d’un décor de théâtre. Mais dans ce tableau, ce que je peux voir dans le moindre détail, les yeux pourtant clos, c’est ce lévrier argenté courir après un lièvre, à travers des champs de labour. Les arrières plans, voilà ce qui m’a toujours fasciné dans la peinture de la Renaissance italienne. Ce goût de l’observation demande du temps, les vertueux appellent cela de la contemplation. S’adonner à une écoute frénétique d’un disque et de surcroît à un moment précis de ce disque, nous amène à une forme particulière de satiété, vidant l’œuvre de toute vitalité. Je me souviens avoir ressenti cette émotion ambivalente lorsque vint le crépuscule de mes écoutes d’un album comme Vauxhall & I de Morrissey. Jeune homme et absolument mûr pour les amours imaginaires, j’étais écœuré d’avoir appris par cœur cet ensemble de compositions – une véritable petite mort. C’était pourtant un grand enseignement, cette petite mort. //

/ Une grande bataille, très contemporaine, oppose ceux qui ont conscience que les éléments, les villes, les humains et leurs œuvres puissent mourrir un jour aux si touchants enfants du déni. Kafka disait : « Le meilleur de ce que j’ai écrit se fonde sur cette aptitude à pouvoir mourir content ». Cette tension produite par l’acceptation d’une fin et d’un trait définitif est le charme perdu de la musique. Ressentir cette tristesse qui nous prend lorsque l’on réalise que l’on n’écoutera jamais plus un disque d’une telle façon – dévorante et comme mendiant la moindre note – comprendre, aussi, que le groupe aimé – les Pixies, Slowdive ou encore Grandaddy – va mourir ou plus exactement est bien mort. //

/ On reproche beaucoup de choses aux retrouvailles musicales. Elles tiennent souvent de l’insupportable remake hollywoodien. Des musiques refaites plan par plan, à l’identique. Les albums de Slowdive et de Grandaddy sont moins la reprise d’une œuvre qu’une simple répétition. Pour ce qui est de la reprise d’une œuvre, il faut aller consulter le cas Don Bryant. J’ai donc essayé d’écouter, jusqu’à l’écœurement, le dernier Grandaddy. Aucun arrière plan, jamais de basculement me plongeant de l’état passion à une satiété proche du dégoût, dégoût qui me forçait jadis à ne plus écouter un album durant un temps donné pour mieux m’y replonger après une période de jeûne nécessaire. Non, désormais, il s’agit d’une simple fréquence – l’ennui, l’ennui des groupes qui ne changent pas pour satisfaire des enfants qui ont vieilli. Voilà un bouleversant paradoxe, celui de la pop moderne. Cette impression qu’autrefois les disques nous façonnaient et qu’aujourd’hui, nous leur demandons de nous ressembler.
J’aurais aimé que Grandaddy ne sorte jamais cet album, étant entendu que le groupe était allé au bout de sa proposition musicale avec The Sophtware Slump. Il faut savoir disparaître. Parfois, j’ai l’impression que nous sommes responsables de ces retours pathétiques, nous, pareils à de grands capricieux ne voulant pas croire aux choses qui finissent. Quels mélomanes sommes-nous devenus ? Plus que la qualité de ces retours musicaux, voilà la véritable question. //

/ Ce que j’aime en écoutant les albums des Smiths, c’est qu’à chaque étape de ma vie, leur approche se métamorphose. Voilà le bien précieux de la musique: elle a beau, parfois, appartenir au passé, elle se fait pourtant actuelle et nécessaire, pour chacun d’entre-nous, à un moment donné. Ineffable liberté qui rend la voix d’un mort plus incarnée que notre voisin de table lors d’un déjeuner.
Je crois que mon pire cauchemar serait d’apprendre un matin, sur un quelconque réseau social, la reformation des Smiths. Chacun irait de son commentaire puis viendrait le moment du teaser de l’album que l’on regarderait sur Youtube et pour finir, on écouterait en streaming cette production référencée et bien mise comme un musée. La bataille sera, ce jour là, définitivement perdue et on y sera pour beaucoup. //

 


Lyonel Sasso
Juillet 2017

 

 

Illustration : Paolo Uccello, La Bataille de San Romano (extrait) – Vers 1440

Theo Lawrence & The Hearts (Live Report)

Theo Lawrence & The Hearts / Photographie © Pascal Blua

Theo Lawrence & The Hearts
Fête de la musique, Hôtel de Matignon, Paris — 21 Juin 2017

Il y a des personnes qui rêvent de monter les marches de Matignon… Pour ma part, je m’y rend ce soir pour assister à un concert. Et le souvenir ému que j’en garde, dépasse celui d’une chouette soirée musicale.

Le concert commence. Un jeune garçon passe à côté de moi, s’avance vers la scène, poussé par sa mère, qui lui a visiblement donner l’autorisation de s’en approcher. Il s’agrippe à la barrière et lui fait signe qu’elle peut repartir. Il doit bien avoir une petite dizaine d’années. La casquette qu’il porte, rivée sur la tête, ne lui enlève pas son air sage et timide.

Il n’est pas très grand et la scène est un peu haute. Il a les yeux rivés sur le groupe et plus particulièrement sur Theo, qui occupe le devant de la scène. Droit comme un i, sans bouger d’un quart de millimètres, il ne le quitte pas des yeux. Il est figé, comme « émerveillé ».

Il m’entend murmurer les paroles d’une chanson, se retourne et nos regards se croisent. Je perçois un mélange de concentration et de bonheur dans ses yeux. Il me sourit et d’un coup d’oeil, nous sommes devenus complices.
Je m’interroge… est-ce son premier concert ? …une sortie longuement négociée ou le hasard d’une déambulation dans les rues un soir de Fête de la musique ?

Sa mère viendra le voir plusieurs fois. Ses allers-retours nous agace. Je me pousse pour la laisser passer, il se retourne pour lui dire que tout va bien. A chaque fois, j’entends son regard me supplier : « S’il vous plait monsieur, dites lui qu’elle me laisse tranquille ».

Nous n’aurons finalement pas trouver l’occasion de nous parler. Mais ce que nous nous sommes dit ce soir là, à travers nos regards passionnés, dépasse les mots.


Pascal Blua

Epilogue.
En partant,  je ne peux m’empêcher de penser à cette soirée de 1978 où j’ai assisté médusé à mon premier concert. Après, plus rien n’a été pareil. J’espère de tout coeur que ce sera la même chose pour lui.

Ce  texte est dédié à Theo Lawrence & The Hearts.

theolawrencemusic.bandcamp.com

 

Bertrand Lapicorey

My essentials for Stereographics © Bertrand Lapicorey

LES ESSENTIELS DE BERTRAND LAPICOREY

“ Demandez-moi mon film, mon disque préféré, les livres que j’emporterais sur une île déserte, ou les choses dont je ne pourrais pas me passer (le fameux “jamais sans mon/ma/mes…”) et instantanément je me tétanise comme le hérisson, le lièvre, le renard, le sanglier, la biche, la chèvre, le cerf, le chamois, ou le bouquetin (je suis bien évidemment complètement indécis question totem animal) la nuit pris dans les phares d’une voiture. Mon cerveau se fige avant de repartir au ralenti, c’est en général le moment où après un long silence gêné je sors des noms qui me passent par la tête en poussant un soupir de soulagement, équivalent à une sortie d’apnée, une fois la tâche accomplie.
C’est dire ma réaction quand j’ai reçu un email de Pascal Blua me proposant de participer à son projet des “Essentiels”. Incapable de choisir comme dans une pièce de Corneille, de trier ou de réduire à l’essentiel, j’ai fini par faire une liste touffue, baroque, de bric et de broc, de lieux, de films, de livres, de disques et d’artistes qui cartographient mon univers et jalonnent mon parcours toujours en mouvement, poussé par la découverte, la curiosité, l’échange et le partage. Elle me dévoile autant qu’elle me dissimule, c’est peut-être pour ça qu’elle est très longue.

Bertrand Lapicorey
Juin 2017

Plus d’informations sur Bertrand Lapicorey
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My essentials for Stereographics by Bertrand Lapicorey
© Bertrand Lapicorey / All rights reserved / Reproduction prohibited without permission of the author

Visuel créé à partir d’une peinture de Carmen Herrera (b. 1915), Green and Orange, 1958.
Acrylic on canvas  (152,4× 182,9 cm). Collection of Paul and Trudy Cejas © Carmen Herrera